C’était au début de l’année. En janvier, je crois. Une neige grise et sale encombrait les trottoirs. J’avais répondu à l’appel amical de la Sécurité Sociale m’invitant à établir un état des lieux de ma santé. Après avoir attendu mon tour au guichet d’accueil, je m’assis sagement sur le tabouret affecté à la garde de la porte de l’infirmière. Elle devait me remettre les documents à présenter aux divers intervenants qui enquêteraient, chacun dans leur domaine de prédilection, sur les conditions de fonctionnement de mon organisme. Je n’étais bien entendu pas le seul à me rendre à cette invitation. Disons que nous étions un certain nombre à attendre. Un nombre en tout état de cause supérieur au nombre de tabourets disponibles. Mais ne sommes nous pas en période de restrictions ! Quoi qu’il en soit, je parvins cahin-caha à suivre le parcours fléché de cabinet en cabinet jusqu’à celui du médecin. Globalement, me dit-il après avoir dépouillé les rapports des examinateurs, vous paraissez en bonne santé. Disons que vous n’êtes pas encore malade. Que faites-vous pour pérenniser cette situation ? Devant mon incompréhension, il précise. Faites-vous du sport ? Non. Du vélo, de la marche à pied sans aller jusqu’à la boxe ? Non, je me contente d’entretenir mon jardin. Sourire condescendant : le jardinage ne peut être réellement considéré comme un sport ! Je repense régulièrement à cette appréciation éminemment scientifique en tâtant mes reins endoloris et mes muscles tétanisés à la suite du bêchage de mon potager, de l’élagage de mes haies, de l’émondage de mes arbres ou de la corvée de coupe des innombrables fougères qui repousseront dès le printemps prochain. J’y repense d’autant plus aujourd’hui alors que je viens d’arracher la souche d’un pied de fusain. Cet arbuste de la famille des célastracées arbore un joli feuillage bicolore qui rend son meilleur effet en situation ensoleillée et isolé au milieu d’une pelouse. Le mien était en place depuis une petite trentaine d’années et avait atteint la taille, gigantesque pour cet arbuste, de plus de trois mètres de haut. Large et majestueux au centre de son petit carré d’herbe, il illuminait superbement de ses reflets chatoyants un recoin que j’avais quelque peu délaissé depuis quelque temps. Les oiseaux aimaient à le fréquenter au printemps et c’étaient les allers et retours incessants de moineaux, rouges-gorges et autres mésanges qui y établissaient leur nid. Hélas, les années s’ajoutant, il avait tendance, malgré mes soins attentifs, à offrir une surface de plus en plus clairsemée, éparse et désordonnée. En un mot, j’en avais perdu la maîtrise. Le jardinier à horreur de voir la nature lui échapper. Je décidai purement et simplement de le supprimer. Tailler les branches ne demanda guère de peine. Es transporter jusqu’au fond du courtil et les entasser en attente d’être brûlées non plus. Le plus sportif se révéla en fait d’extraire la souche du sol. La bêche, la pioche et la barre à mine entrèrent en action. J’en ai pour une demi-journée, pensai-je ! Las, il me fallut en compter plusieurs. Les racines avaient si bien profité de la situation qu’elles s’étaient enfoncées jusqu’à la profondeur d’un bon mètre et étalées sur plusieurs. Parvenu malgré tout à mes fins, je contemplai avec la satisfaction du vainqueur l’ouverture béante creusée au milieu de mon carré de pelouse, l’herbe piétinée, la souche elle-même, lourde et massive, encombrée de boue et de pierres et le tas de racines arrachées après mille efforts. La conclusion s’imposa à moi d’emblée. Le jardinage n’est pas un sport. C’est pire. On voit par là que la faculté devrait de temps à autre sortir de son cabinet et effectuer elle-même les travaux qu’elle inflige à son jardinier. Le monde ne s’en trouverait pas plus mal.
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