Les éditions José Corti publient Brouillons de la poète
américain Rachel Blau Duplessis dans une traduction d’Auxeméry.
Poezibao a déjà donné un court
extrait du livre ici.
5. J’ai vu une salamandre faire son caca, contente, et sans manières
la queue gentiment recourbée en l’air et la patte levée !
Voilà ce que je n’avais pas saisi auparavant
dans les discussions virgiliennes sur le chant et les façons de chanter.
À noter la pluie qui tombe
gouttes d’argent clair
parce qu’un petit nuage s’est offert et ouvert
avec douceur
et une intense clarté zébrée d’éclairs.
Certaines dessinaient des ballerines, des dames pétillantes,
d’autres dessinaient missiles et bombardiers d’assaut,
toi, tu avais pour habitude de dessiner des pommes
des pommes bien rouges rondes et encoucounées
dans un arbre lumineux
On m’a parlé d’un lieu où les gens offrent du pain
au pommier, ils apportent des miches
en procession et les accrochent parmi les feuilles.
Forme de reconnaissance.
Merci, les arbres.
6. Les bestioles nées aux premiers signes d’un printemps bien sage
têtes-d’épingles à queues en pointe,
sont tombées à terre, tordant leurs ailes-voiles dans
un impossible combat pour se
retourner, se relever, aller voler
là où leur volonté les mènera, pour
découvrir le monde et quel prodige
il est, même là dans le minuscule éclat
où il trouve sa limite, une durée de vie.
Elles sont à la lutte
pour conserver leur équilibre
en lui.
Le poirier en fleur est un peu trop à l’ombre où nous l’avons mis
mais il fait son chemin entre un vieux chêne
et un immense hêtre gris, faisant arche
allégorie déjà –
trou de souris sous l’arche d’une vache
coucou comptant les heures dans le bosquet, mélancoliquement.
La bourrasque se sent seule. « Al’veut sa momon. »
7. Avoir sa coupe à soi, son bol à soi
être insensible aux coups de froid
mais sensibles aux bêtes règles sociales
façon de réfléchir.
La main se tend pour
tâter des textures
toucher les murs
caresser la pierre
passer le doigt sur la fourrure
donner une pichenette sur l’enduit
le tout afin de se rendre compte de tout.
Dès 5 ans elle était déjà allée dans 22 états
à tailler des bâtons et courir
et dans au moins 7 pays
peut-être plus –
petite fille du monde entier
vivant dans l’égoïsme
et les commodités de l’après-guerre froide
nous ratons les enfants de notre espèce.
Les nôtres ont 30 sortes de dentifrices
d’autres ont la peau sur les os, les yeux en crevasses
ils apprennent à pleurer
en silence.
8.
Zéro, c’est un, mais mort
deux égale à un plus néant
En un est deux,
double. En un, y avait
rien de plus.
« Où se cache-t-elle ?
Oh, où est-elle
cachée ?
9. Oiseau picore graine ver écorce
feuille sous le vent vient frapper et refrapper la branche.
et puis les bruits d’enfants
cris et rires aux éclats
cela épuise la mère sans défense
telle une holstein flottant au clair de la lune.
Dorlotage
passage répété de lumière
sur une surface sensible à la lumière
dans la coupe noire de la nuit
dans le jour douçâtre saumâtre
qui file, mais sans but,
infrarouge, infrableu
infra vrai.
[...]
Rachel Blau Duplessis, Brouillons,
traduit par Auxeméry, avec la collaboration de Chris Tysh, « série
américaine », Éditions Corti, 2013, pp. 138 à 141.
Rachel Blau Duplessis dans Poezibao :
notes
sur la poésie, Deixis, un
ensemble de textes traduits par Auxeméry, 2
textes pour soirée Traduction de Poezibao,
[Carte
Blanche], "Poétique polymorphe, à propos de The H.D. Book de Robert
Duncan", de Rachel Blau DuPlessis, traduction inédite d'Auxeméry