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[anthologie permanente] Rachel Blau Duplessis

Par Florence Trocmé

Les éditions José Corti publient Brouillons de la poète américain Rachel Blau Duplessis dans une traduction d’Auxeméry.  
Poezibao a déjà donné un court extrait du livre ici.  
5. J’ai vu une salamandre faire son caca, contente, et sans manières 
la queue gentiment recourbée en l’air et la patte levée ! 
Voilà ce que je n’avais pas saisi auparavant 
dans les discussions virgiliennes sur le chant et les façons de chanter.  
À noter la pluie qui tombe 
gouttes d’argent clair 
parce qu’un petit nuage s’est offert et ouvert 
avec douceur 
et une intense clarté zébrée d’éclairs. 
Certaines dessinaient des ballerines, des dames pétillantes, 
d’autres dessinaient missiles et bombardiers d’assaut,  
toi, tu avais pour habitude de dessiner des pommes 
des pommes bien rouges rondes et encoucounées 
dans un arbre lumineux 
On m’a parlé d’un lieu où les gens offrent du pain 
au pommier, ils apportent des miches 
en procession et les accrochent parmi les feuilles. 
Forme de reconnaissance.  
Merci, les arbres.  
6. Les bestioles nées aux premiers signes d’un printemps bien sage 
têtes-d’épingles à queues en pointe,  
sont tombées à terre, tordant leurs ailes-voiles dans 
un impossible combat pour se 
retourner, se relever, aller voler 
là où leur volonté les mènera, pour 
découvrir le monde et quel prodige 
il est, même là dans le minuscule éclat 
où il trouve sa limite, une durée de vie. 
Elles sont à la lutte 
pour conserver leur équilibre 
en lui.  
Le poirier en fleur est un peu trop à l’ombre où nous l’avons mis 
mais il fait son chemin entre un vieux chêne  
et un immense hêtre gris, faisant arche 
allégorie déjà – 
trou de souris sous l’arche d’une vache 
coucou comptant les heures dans le bosquet, mélancoliquement. 
La bourrasque se sent seule. « Al’veut sa momon. » 
7. Avoir sa coupe à soi, son bol à soi 
être insensible aux coups de froid 
mais sensibles aux bêtes règles sociales 
façon de réfléchir.  
La main se tend pour 
tâter des textures 
toucher les murs 
caresser la pierre 
passer le doigt sur la fourrure 
donner une pichenette sur l’enduit 
le tout afin de se rendre compte de tout.  
Dès 5 ans elle était déjà allée dans 22 états 
à tailler des bâtons et courir 
et dans au moins 7 pays 
peut-être plus – 
petite fille du monde entier 
vivant dans l’égoïsme  
et les commodités de l’après-guerre froide 
nous ratons les enfants de notre espèce.  
Les nôtres ont 30 sortes de dentifrices 
d’autres ont la peau sur les os, les yeux en crevasses 
ils apprennent à pleurer 
en silence.  
8.  
Zéro, c’est un, mais mort 
deux égale à un plus néant 
En un est deux,  
double. En un, y avait 
rien de plus. 
« Où se cache-t-elle ? 
Oh, où est-elle 
cachée ?  
9. Oiseau picore graine ver écorce 
feuille sous le vent vient frapper et refrapper la branche. 
et puis les bruits d’enfants 
cris et rires aux éclats 
cela épuise la mère sans défense 
telle une holstein flottant au clair de la lune.  
Dorlotage 
passage répété de lumière 
sur une surface sensible à la lumière 
dans la coupe noire de la nuit 
dans le jour douçâtre saumâtre 
qui file, mais sans but,  
infrarouge, infrableu 
infra vrai.  
[...] 
Rachel Blau Duplessis, Brouillons, traduit par Auxeméry, avec la collaboration de Chris Tysh, « série américaine », Éditions Corti, 2013, pp. 138 à 141.  
Rachel Blau Duplessis dans Poezibao : 
notes sur la poésie, Deixis, un ensemble de textes traduits par Auxeméry, 2 textes pour soirée Traduction de Poezibao, [Carte Blanche], "Poétique polymorphe, à propos de The H.D. Book de Robert Duncan", de Rachel Blau DuPlessis, traduction inédite d'Auxeméry 


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