Les œuvres de certains artistes sont facilement identifiables à distance. Nul n’est besoin de s’en approcher pour en lire la signature, au bas de la toile ou sur un cartouche. Ayman Baalbaki, dont il est régulièrement question dans ces colonnes, fait partie de ces plasticiens dont l’esthétique proche du néo-expressionnisme, mais, personnelle, intense, unique, vaut identification au premier regard. Aucun doute n’habite le spectateur qui peut ainsi se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire l’œuvre elle-même.
L’exposition organisée à la Luce Gallery de Turin (Italie) jusqu’au 31 octobre, qui réunit quelques réalisations récentes, permet de confirmer cette impression. Son titre, Hanoi/Hong Kong, sonne comme une énigme, dans la mesure où les toiles ici réunies reprennent des thématiques non pas d'Extrême Orient, mais directement inspirées du Liban, où Ayman Baalbaki vit et travaille : visage de combattant en partie dissimulé derrière un keffieh (de la série Mulatham), immeubles effondrés, témoins architecturaux de conflits ou d’attentats (ici, Ruin-Form ou Embassy) composés d’un affrontement de lignes verticales et horizontales.
A Turin, l’artiste présente, en outre, une fascinante série de plots de béton et de frises d’acier communément utilisés, à Beyrouth et dans l’ensemble du pays, pour créer des chicanes, établir des barrages routiers ou, plus simplement, protéger certains édifices d’un attentat à la voiture piégée, puisque tel fut le quotidien libanais pendant la guerre civile. Un quotidien qui n'a jamais vraiment cessé d'exister et qui reprend davantage forme aujourd’hui, sur cette terre d’instabilité, de conflits communautaires de moins en moins larvés, directement liés à des intérêts géopolitiques qui dépassent largement ses frontières.
Dans ce contexte, les barrières de béton imposent leur polysémie : elles protègent autant qu’elles séparent. Les toiles d’Ayman Baalbaki, plus allégoriques qu’il n’y paraît, témoignent d’une situation bien réelle, avec ce mélange de neutralité glaçante et de contrastes colorés (les tissus fleuris et kitsch sur lesquels il peint souvent, habituellement utilisés par les femmes chiites des régions rurales du Sud du Liban) qui semblent faire vibrer une note d’espoir et de vie au milieu de décors apocalyptiques.
Au cœur de cette approche non conventionnelle, réside sans doute la signification du titre de l’exposition. Hanoi/Hong Kong, explique l’artiste, est une expression qui fut à plusieurs reprises utilisée par les politiciens libanais, pour désigner le choix de priorités qui s’offre à un pays : soit le combat, comme le symbolisa la capitale vietnamienne, soit le développement touristique, qui fut et reste, avec les affaires, l’activité principale de l’ancienne colonie britannique.
Illustrations : Embassy, 2013, acrylique sur toile, laiton et néon, 225 x 140 cm - Concrete Lebanese Flag Barrier, 2013, acrylique sur panneau, 70 x 100 cm - Czech Hedgehog, 2013, acrylique sur panneau, 70 x 100 cm.