Magazine Journal intime

Où il est question de cuir et d’eau glacée!

Par Vivresansargent

14/10/13

 Il est 5h30, Sarry s’éveille. La nuit a été bonne, récupératrice. Depuis un mois que je fais la route, comme le disent les baroudeurs, je n’ai aucun mal à me lever le matin. Je n’ai aucune blessure sérieuse à déplorer. J’ai juste un hématome qui se développe sous l’ongle des deux gros orteils. Décidément, le passage des chaussures de ville à celles de marche, ne se fait pas sans heurt. Je portais ces chaussures de cuir depuis des lustres, de vrais chaussons. Je me rends compte, non pas sans un rictus songeur accroché aux lèvres, que je suis tombé dans le piège qui consiste à toujours chercher meilleure chaussure à son pied. J’aurais pu aller à Saint Jacques avec mes Kickers. On craint toujours de ne pas avoir le bon truc, le machin parfait ou le bidule qui changera tout. Ces chaussures spécialement conçues pour la marche finiront bien pas se mouler à la forme de mes pieds. Ce n’est qu’une question de temps et du temps, j’en ai.

 Le matin, au réveil, l’unique difficulté, depuis quelques jours, consiste à sortir du duvet. Le bout de mon nez, froid comme la truffe d’un chien, m’indique ce matin, qu’il fait environ cinq degrés dans la tente, en ce jour d’Octobre. Je sors mon unique pantalon du fond de mon duvet et constate, dans un sourire, qu’il est chaud comme le corps d’une femme. Cette nuit, j’ai dormi sous le porche de l’église du village. Je me sens en sécurité auprès des églises. Je m’entraîne. Certains, au rayon literie des grands magasins, testent les lits et leurs conforts. Un cimetière n’est rien d’autre qu’un grand rayon literie. Je teste. C’est ma seule certitude concernant mon avenir, un jour mon corps dormira dans une tombe. Je me prépare. Il faudrait que j’aille dormir dans les cimetières de ma région, pour prendre la température et finalement choisir mon dernier lit, pour cette fois ci ! Dormir au pied d’une église offre des avantages. Je me dis que c’est cohérent pour un pèlerin. En cas de rencontre avec la police ou un villageois apeuré, je suis certain de pouvoir rapidement désamorcer une éventuelle crise. En plus du porche, il y a toujours un point d’eau dont on peut jouir, dans un cimetière. Quand on est sur la route, les besoins sont minimes, de l’eau, un abri, une épicerie. Il n’y a rien de gothique dans ma démarche. Elle est plutôt pragmatique.

Ce matin, alors que le village dort encore, je me lave les cheveux au robinet du cimetière, éclairé par de faibles lampadaires. L’ambiance est particulière. J’ai l’impression d’être le seul être vivant du village. J’en profite. Je suis heureux. Ces ambiances très matinales font resurgir en moi, de nombreux bons et doux souvenirs de mes jeunes années de Scout de France. Le silence de la nuit qui se termine est rompu par le son de l’eau glacée qui après avoir brûlée mon cuir chevelu, s’engouffre dans une profonde bouche d’égout. En dix minutes, mon sac à dos est prêt et la tente est pliée, rangée et attachée. Je mange quelques figues qui traînent dans le fond d’une poche et je prends la direction de Vitry le François. Une goutte glaciale se détache d’une mèche de mes cheveux et glisse lentement, très lentement, le long de mon cou. Mon corps entier est secoué d’un violent frissonnement, comme sous l’effet d’une tape amicale sur l’épaule. Je sourie. Je marche.


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