Magazine Culture
Jean Rouaud a entrepris
de raconter La vie poétique. Sa vie,
en somme, dont le premier volet s’intitulait Comment gagner sa vie honnêtement. Pour suivre, Une façon de chanter prolonge une
autobiographie éclatée dont les thèmes courent au fil de souvenirs parfois
réinventés.
Puisque l’écrivain
fournit une clé de lecture dans le titre, suivons-le sur le chemin musical
qu’il emprunte souvent. Longtemps, dans sa province rigide où la nouveauté,
observée avec une méfiance paysanne, arrivait avec retard, il a dû se contenter
d’une bande son « rudimentaire :
le clocher de l’église, sonnant tous les quarts d’heure, et dont le carillon
variant selon les événements faisant office de télégraphe […], le cling cling
sonore du marteau du maréchal-ferrant aplatissant sur l’enclume un fer à cheval
rougeoyant »… Avec, pour seules chansons, celles d’une autre
génération. « Et pendant ce temps
Elvis Presley se déhanchait sur Jailhouse Rock. »
Puis vint la guitare,
instrument de la modernité rattrapée, quand il fallait faire un choix entre les
Beatles et les Rolling Stones, avec quelques vagues accords plaqués sur des
paroles qui feraient de lui un chanteur à la mode. Puisqu’il suffisait de
quelques mots fredonnés au moment adéquat pour éprouver « un sentiment d’allégresse ». Des airs composés, il n’a
rien retenu, ni des paroles d’ailleurs. Il ne connaissait pas l’écriture
musicale et n’acceptera de le reconnaître comme une lacune que beaucoup plus
tard, quand il prendra des leçons de piano.
S’il n’est pas devenu
interprète, la musique a pourtant continué de l’émouvoir, capable de déclencher
chez lui une émotion traduite par des torrents de larmes. Mais pas Brassens, « poète en second », chez qui
il voit « un amalgame douteux, quand
il s’avisa de renvoyer dos à dos résistants et collaborateurs. » Car
Jean Rouaud, au détour de la poésie qui imbibe chacun de ses livres, est
capable de flinguer. Céline, par exemple, dont toute l’œuvre est pour lui d’un
seul bloc. Ou Jean Cocteau, à travers ses « mots
sentencieux et idiots, qui derrière leur prétention au sens caché ne veulent
rien dire d’autre que la fatuité de leur auteur. »
Sur tout cela, Rouaud dessine des lignes de
pluie, le « blason » qui inaugurait en dix pages son premier roman, Les champs d’honneur. La pluie si
présente dans l’Ouest de son enfance, mais qu’il espérait surtout voir tomber à
Paris, condition pour que la seule chaîne de télévision captée chez lui
programme un film l’après-midi.