« Lorsque je signe des groupes étrangers, je les encourage fortement à chanter dans leur propre langue, revendiquer leur culture, et éviter l’écueil des étrangers qui chantent en anglais« . Ce sont les mots, en 2009, de l’Américain Pieter Schoolwerth, fin connaisseur des moindres recoins de la minimal wave internationale et soutien majeur de son renouveau grâce à son label-pivot Wierd Records à New York. Il ne parle pas français et ne peut donc savourer l’un des aspects les plus croustillants du projet montréalais Automelodi dont il a sorti le premier album, mais on aimerait bien lui dire qu’il a été particulièrement gâté sur ce coup-là.
Rappelons-le, les Québécois ont un rapport parfois délicat avec la francophonie, qui impacte fortement leur production musicale (par exemple, les radios locales sont tenues à 65% de francophone dans leurs playlists). Leur humoriste populaire Stéphane Rousseau racontait une fois qu’on apprenait aux apprentis comédiens au Québec qu’un accent français irréprochable était indispensable pour percer. Par ailleurs, on connaît à nos cousins outre-Atlantique une relation à double-tranchant avec la culture française qui va de la dérision de notre accent à une grande admiration pour nos artistes, ainsi qu’un sens brutal de l’absurde et du pastiche qui nous décoiffent quand on s’y attend le moins.
Il est utile de restituer le tandem Automelodi dans ce contexte, tant son approche romantique et décomplexée du folklore francophone et français est un de ses plus grands atouts. Le tour de force inattendu de sa tête pensante Arnaud Lazlaud (nom de scène Xavier Paradis, histoire d’afficher la couleur) est bien de parvenir à faire de la Nouvelle Vague française au XXIème siècle en étant québécois et en faisant une synth-pop toutes voiles dehors dans une langue délibérément maniérée, le tout sans perde la face. Ce patrimoine artistique hexagonal, il l’avait déjà revendiqué à l’occasion d’un exquis single avec la moitié chantante de Xeno & Oaklander en 2012, Rien à Paris, qui convoquait joyeusement Jacques Rivette en face A et Françoise Hardy en face B, le genre de références qui sonneraient immanquablement chics et pompeuses de la part d’un Français (Tricatel dans le meilleur des cas, Fauve dans le pire).
C’est pourtant avec une absence totale de complexe que la langue française et son univers sont abordés et magnifiés chez Automelodi, comme le confirme ce deuxième album hautement enjôleur. Ces Surlendemains Acides, ce sont Les Nuits de la Pleine Lune d’Éric Rohmer sur des claviers analogiques en 2013 à Montréal – le titre Fables et Proverbes sonne d’ailleurs comme un clin d’œil à la série des Comédies et Proverbes du défunt réalisateur. Chez Xavier Paradis (et non Dolan, pourtant on n’est pas si loin du compte), on y va sans scrupule : frange basse et chemise cintrée, pop chamarrée et air détaché, on s’alanguit sur son vague-à-l’âme après des nuits agitées (Métropole Sous la Pluie), on déchiffre son mal-être en formes géométriques (À la Date Verticale, et surtout Aléas, Dernières Chances, tube pour danser sous les néons cet automne) et bien sûr, on n’oublie pas que les formes de son corps ne veulent rien dire pour moi (les frôlements érotiques de La Cigale, avec clin d’œil à la Fontaine Pour le Plaisir). On s’autorise aussi des intonations affectées à outrance, des formules ampoulées au bord de la complaisance, et des « r » scandaleusement exagérés qui donnent un relief indécent à des mots tels que « corps » ou « cœur », autant d’éléments que l’on assimilerait ici à de mauvais gimmicks de variété française.
Sur le papier, tout cela pourrait sembler en effet rédhibitoire, et c’est là qu’Automelodi fait fort. D’abord, l’opération s’appuie sur une écriture pop de grande noblesse, et une production tendre et succulente en contraste avec les raideurs pour lesquelles les autres artistes de la néo-minimale wave sont le plus souvent appréciés. Mais Paradis gagne surtout en latitude par le sérieux, l’innocence et la légèreté avec lesquels il nous confie sa fantaisie et son désarroi, là où de nombreux Français n’auraient pu se priver d’un certain second degré voire d’une distance sarcastique. Le Montréalais se joue du registre mathématico-sentimental d’un Moderne ou d’un Performance, frôle parfois le Tranxen 200, mais ne tombe jamais dans le ridicule. Tout au contraire, Surlendemain Acides est un petit chef-d’œuvre de lyrisme assumé, d’humour enlevé et de pop synthétique distinguée auquel on a envie de s’attacher. Comme le dit si bien Xavier Paradis lors d’une de ses poses les plus solennelles, « merci pour l’insolence« .