Reconnaissance de l'Holocauste par le président iranien : révolution ou stratégie politico-mémorielle ?

Par Mbertrand @MIKL_Bertrand

Summary : Iranian President Hassan Rohani decided to illustrate the differences with his predecessor Mahmoud Ahmadinejad by condemning the Nazy genocide during his American trip in September, 2013. This declaration was welcomed in the Occidental countries but is suspicious for Israel who is thinking of a memorial strategy in the ideological war between the two ennemies.

Le terrain avait été préparé au début du mois de septembre par le ministre iranien des Affaires Étrangères Mohammad Javad Zarif. Après avoir souhaité sur Twitter un joyeux Rosh Hashanah (une fête juive célébrant la nouvelle année civile du calendrier hébreu) à la communauté juive, et notamment aux Juifs iraniens, l'homme politique avait été interpelé par l'américaine Christine Pelosi, fille de la chef de file du parti démocrate à la Chambre des représentants depuis 2002, Nancy Pelosi. Cette jeune femme lui fait alors remarquer que cette nouvelle année serait bien plus douce s'il mettait fin au déni iranien à propos de l'Holocauste.

La réponse ne s'est pas faite attendre :

L'Iran ne l'a jamais nié. L'homme qui a pu donné cette impression est désormais parti.

Twitter

Dans un premier temps, cette prise de position inédite a été saluée par l'opinion internationale. Après des années de provocations par Mahmoud Ahmandinejad qualifiant l'Holocauste de "mythe", ce petit gazzouilli en provenance des plus hautes instances iraniennes témoignait d'un renouveau dont on attendait des gages depuis la victoire aux élections présidentielles du printemps 2013 du candidat considéré comme réformateur et modéré, Hassan Rohani.

Dans un second temps, la politique a repris ces droits et les commentateurs occidentaux ont considéré avec cynisme que cette déclaration était une orchestration visant à dédiaboliser l'Iran sur la scène internationale, à l'image d'un parti d'extrême-droite qui tenterait de lisser son image en interdisant l'usage de l'adjectif "extrême" pour le désigner...

Il fallait donc frapper plus fort pour être totalement crédible et c'est finalement le président iranien Hassan Rohani en personne qui s'est rendu sur un plateau de télévision américaine pour condamner les crimes nazis commis envers les Juifs.

Une nouvelle stratégie mémorielle dans la guerre contre Israël ?

La stratégie a été payante car le déplacement du président iranien a été positivement relayé dans les médias occidentaux et Barack Obama a décidé quelques heures plus tard de décrocher son téléphone pour une première discussion constructive après des années de silence diplomatique.

C'est cependant un tout autre son de cloche (sic) qui s'est fait entendre depuis Israël. La presse israélienne s'est en effet insurgée contre ce qu'elle considère comme une manipulation par l'Iran de leurs confrères occidentaux.

Anshel Pfeffer, chroniqueur dans Ha'Aretz, utilise des mots très durs, mais intéressants, pour commenter les propos du nouveau président iranien :

Même si Rohani se rendait au mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, qu'il récitait les quatre millions de noms qui y sont conservés, puis qu'il se joignait aux chercheurs qui s'efforcent de retrouver les 2 autres millions de noms qui manquent, qu'est-ce que cela changerait ? Cela changerait-il le fait que le régime qu'il sert soutient le massacre de civils syriens ? Pour une raison quelconque, nous avons transformé la reconnaissance de la Shoah en test politique, comme si nous avions besoin qu'un Iranien vienne nous confirmer que nos arrière-grands-parents ont bien été massacrés il y a 70 ans. Tout cet exercice revient à tourner leur mémoire en dérision.

Ha'Aretz

Son analyse confirme s'il en était encore besoin que le souvenir du génocide des Juifs d'Europe par les nazis a acquis une place exceptionnelle dans la plupart des régimes mémoriels occidentaux, devenant en quelque sorte un étalon de la souffrance et de l'horreur confirmé notamment par la théorie du point Godwin.

Or, Anshel Pfeffer considère que cette situation est un piège des ennemis d'Israël qui risque de se refermer sur son pays. Jusqu'à présent, la vision binaire autour de l'Holocauste permettait bien des raccourcis : nier son existence revenait en effet à être classé dans les rangs des ennemis d'Israël qui considèrent que ce pays instrumentalise la mémoire victimaire de l'évènement pour justifier son existence et ses droits sur la Palestine.

Les nouveaux dirigeants iraniens semblent décidés à sortir de cette caricature stérile en acceptant de reconnaître l'existence de l'Holocauste, ce qui leur permettra désormais d'entrer dans le débat pour mieux mettre en lumière ce qu'ils considèrent comme "le talon d'Archille des sionistes". En somme, il s'agit de démontrer que la Shoah a certes été une catastrophe, au même titre que le génocide des Arméniens, l'esclavage... et l'occupation de la Palestine depuis 1948 !

Nous n'avons pas la prétention sur ce site d'affirmer que les prises de position récentes du régime iranien relèvent d'une telle stratégie. Seul un témoignage officiel permettra peut-être un jour de confirmer ce qui apparaît pour le moment comme une très forte présomption de manipulation géopolitico-mémorielle. Si tel est le cas, les conséquences seront exceptionnelles, tant d'un point de vue géopolitique que mémoriel.