Adrià, 60 ans, se sent vieux, la dame à la faux l’invite à le suivre. Avant que la partie s’achève, Il joue sa dernière partition, se confesse dans un livre mémoire à Sara, l’amour de sa vie aujourd’hui disparue. Trop tard pour qu’elle absolve sa faute : celle de n’avoir rien dit. C’est à Bernat, son ami d’enfance, qu’il confie le manuscrit.
Dans ce récit fragmenté de 770 pages le narrateur passe d’un personnage à l’autre, d’une histoire à l’autre, et ce parfois dans la même phrase, sans aucune transition. « Le rythme et la musique des phrases, si c’est réussi, suffisent à tout justifier ». J.Cabré. C’est donc ainsi que ce philologue émérite, disperse sur le papier ses souvenirs entremêlés des lambeaux de l’Histoire.
La saga d’un violon inestimable, un storioni, guide le lecteur qui se perd souvent sans jamais vraiment s’égarer. De l’origine de son bois « qui chante » à sa fabrication, l’instrument passe ensuite de main en main, transite par l’inquisition, les mailles resserrées du nazisme, le franquisme. Partout où règne le mal absolu.
Cet instrument Adrià l’affectionne pour la beauté du son exceptionnel qu’il produit, Félix Ardévol, son père, pour sa valeur. Propriétaire d’un magasin d’antiquités, collectionneur de manuscrits et objets rares il a racheté ce violon pour une somme dérisoire.
L’épopée familiale jalonne le récit qui révèle par bribes les origines du mal qui rongent l’humanité. Seul l’art permet « de s’entendre avec la vie, avec les mystères de la solitude, avec la certitude que le désir ne s’ajuste jamais à la réalité ».
La sensibilité du lecteur est exacerbée par un morceau de tissu bleu délavé, symbole de l’innocence bafouée par l’horreur absolu, de l’impossible rédemption. La phrase de V.Jankélévitch - en exergue du précédent roman de J. Cabré les Voix du Pamano- « Père, ne leur pardonne pas, car ils savent ce qu’ils font » résonne comme un écho.
« Un livre qui ne mérite pas d’être relu ne méritait pas davantage d’être lu… Mais avant de le lire nous ne savions pas qu’il ne méritait pas une relecture. La vie est cruelle. »
Une fois la dernière page tournée, c’est la première pensée qui vous vient à l’esprit. Ce virtuose de l’écriture entretient une vraie connivence avec son lecteur dont l’attention est largement gratifiée.
Brigitte.