~LA LUXURE~
Klaus s’arrêta dans l’embrasure de la porte fenêtre et attendit qu’elle se retournât enfin ou qu’elle ouvrît la bouche pour expliquer sa présence. Mais elle n’en fit rien. Elle gardait les yeux baissés sur la rue passante deux étages plus bas, les mains fermement serrées sur la rambarde de fer comme si elle n’avait pas perçu sa présence. Le vampire allait ouvrir la bouche pour briser ce silence qui l’impatientait autant qu’il le mettait mal à l’aise quand elle prit enfin la parole.
— Clématites…
— Pardon ? s’étonna Klaus que le comportement de la jeune femme intriguait de plus en plus.
— Ces fleurs qui courent sur les balcons de l’hôtel… Je cherche leur nom depuis mon arrivée. Ce sont des clématites et les airs de jazz que l’on entend tous les soirs sont des morceaux de Sidney Bechet. J’ai posé la question au garçon d’étage tout à l’heure alors que je préparais ma valise…
Elle s’interrompit, toujours obnubilée par les passants en contrebas, toujours collée à la balustrade, toujours aussi étrange.
— Il m’a répondu comme si c’était une évidence. Ça m’a agacée et je l’ai mordu.
La surprise fit sourciller l’hydride. C’était un aveu assez inattendu de la part de cette jeune femme qui s’efforçait de toujours paraître maîtresse d’elle-même.
— Et donc, tu es là pour que je t’aide à te débarrasser d’un corps qui gît au milieu de ta chambre ?
Sa phrase sonna plus ironiquement que dans son esprit. Il serra les dents s’attendant à une vive réaction qui ne se fit pas attendre.
— Je l’ai mordu, pas tué ! Je n’aurais jamais fait une chose pareille en temps normal !
Klaus s’assombrit. A tous les coups, elle allait lui mettre sa nouvelle perte de contrôle sur le dos.
— C’est pour cela que tu es encore là ? Pour me dire que le type abject que je suis est responsable de la corruption de tous ceux qui l’approchent ? Si c’est le cas, tu as perdu de précieuses heures. Je ne m’excuserai pas pour quelque chose que tu as toi-même décidé et que tu as aimé faire.
Il vit ses épaules se raidir et ne put s’empêcher de sourire.
— Parce que tu as aimé cela, n’est-ce pas ?
Il considéra son silence comme un aveu. C’en était un. Le goût du sang errait encore sur sa bouche tandis que Caroline se mordait la lèvre inférieure à s’en faire mal. A quoi bon mentir ? Il l’aurait su immédiatement. Tout comme il n’était certainement pas dupe de ce qu’elle avait ressenti pour lui dans les toilettes du bar quelques heures plus tôt. Elle aurait déjà dû être loin à cette heure et pourtant, une fois ses valises prêtes, elle s’était attardée sans raison. Elle ne voulut pas se l’admettre immédiatement mais le moindre bruit provenant du couloir mettait ses sens aux aguets. Elle avait eu beau s’en défendre : elle attendait son retour. Son brusque départ du club l’avait autant surprise que déboussolée. Devait-elle profiter de l’aubaine et partir ou au contraire le rattraper et s’excuser ? Elle était restée un long moment en pleine indécision avant de se rendre compte qu’à aucun moment au cours de cette soirée elle n’avait pensé au sort de Tyler. Elle avait culpabilisé d’avoir oublié le seul but de sa présence dans cette ville. Si cela avait bien été le seul… Elle s’était mise à en douter et le garçon d’étage avait fait les frais de cette douloureuse prise de conscience. Elle devait se rendre à l’évidence : la proposition indécente de l’hybride, ce jeu de séduction auquel il s’adonnait depuis son arrivée étaient aussi révoltants qu’excitants. Elle avait apprécié sa prévenance et les efforts qu’il avait, un temps, consenti à faire lorsqu’ils étaient à Mystic Falls mais ses derniers lui semblaient sonner terriblement faux maintenant qu’il lui avait offert cette autre facette de sa personnalité. Cette dernière avait quelque chose de dangereusement séduisante, de presque addictive.
Quand elle le sentit approcher dans son dos, ses mains serrèrent à nouveau la balustrade en s’en faire blanchir les jointures. Elle s’y accrochait comme à une planche de salut comme si la lâcher signifiait tomber dans le vide.
— Qu’est-ce que tu fais encore ici, Caroline ?
Sa voix grave résonna non loin de son oreille. Elle ferma les yeux, troublée et perdue. Elle n’avait pas de réponse à lui donner ou du moins aucune qu’elle désirait entendre sortir de sa propre bouche. Enhardi par cette absence de réponse plus révélatrice qu’un long discours, Klaus se hasarda à poser ses mains sur les épaules nues de la jeune femme. Celle-ci tressaillit à ce contact.
— Retourne-toi et regarde-moi.
Elle secoua vigoureusement la tête. Ne pas le regarder, ni lâcher cette rambarde qui lui meurtrissait les paumes tant elle la serrait, au risque de sombrer tout à fait, de voir les doutes et les appréhensions qui la rattachaient encore à sa vie humaine voler en éclat, de basculer définitivement dans son monde. La tentation se fit d’autant plus irrésistible qu’elle sentait maintenant son torse collé à son dos. Elle résista à l’envie de s’y appuyer tout à fait, de précipiter la lente caresse de ses mains le long de ses bras. Elles se posèrent sur sa taille, s’immobilisant un instant. La crispation de ses doigts sur le tissu fin de sa robe était comme une demande de consentement implicite. Elle respira profondément l’air chaud et humide. Il eut le même réflexe, se délecta à nouveau du parfum fruité de sa peau, si proche de ses lèvres qu’il se fit violence pour ne pas la goûter. Son odeur l’avait toujours enivré. Il la reconnaissait entre mille. Elle était à ce moment-là sublimée par une fragrance particulière qui incita Klaus à poursuivre la langoureuse progression. Elle le désirait autant qu’il avait envie d’elle. Il ne pensait qu’à cela depuis ce soir où elle lui avait balancé ses quatre vérités à la figure en même temps que le bracelet qu’il lui avait offert.
Le souffle de Caroline se bloqua lorsqu’il froissa le jupon de sa robe pour le faire remonter de manière indécente. Elle se crispa et jeta des regards paniqués sur la rue deux étages plus bas. Les derniers noctambules déambulaient d’un pas lent et, pour certains, peu assuré. Ses jambes à elle-aussi menaçaient de se dérober. Elle les serra brusquement quand les doigts audacieux de l’hybride s’insinuèrent dans le liserais de dentelle de son shorty pour le faire glisser.
— Non ! s’affola-t-elle à l’idée d’être ainsi exposée aux regards du premier qui lèverait les yeux sur le balcon.
— Lâche cette balustrade et regarde-moi ou je continue, la menaça-t-il.
En réalité, il espérait bien qu’elle s’entêterait. Ce petit jeu l’amusait.
— Va au diable ! lui souffla-t-elle sans pour autant manifester la moindre envie de se sortir de cette situation.
Il éclata d’un rire franc qui la fit sursauter.
— Depuis le jour où tu m’as sauté dessus dans les bois, j’ai su que tu avais un penchant pour l’exhibitionnisme.
— Je ne t’ai pas sauté dessus ! Je te prenais pour Ty…
Alors qu’elle allait prononcer sciemment le nom de son rival, sa dernière syllabe se mua en bref cri de surprise quand les caresses de Klaus perdirent le peu de retenue qu’elles avaient encore. Elle ne chercha pourtant à s’y soustraire. Si sa raison se révoltait encore un tant soit peu, elle n’était plus qu’un vague murmure étouffé par un désir qui la faisait aller au devant de ses caresses. Elle jura contre elle-même d’aller de manière aussi révoltante à la rencontre de cette main habile entre ses jambes qui cherchait à la faire céder et qui n’y parvenait que trop bien. Elle pinça ses lèvres pour ne pas laisser échapper un gémissement qui pourrait attirer l’attention des rares passants sur eux. Elle sentait les prémisses de l’orgasme la gagner. Sa respiration se fit plus courte et haletante. Elle était sur le point de basculer définitivement lorsque les doigts du vampire l’abandonnèrent au bord du gouffre. Il s’écarta de quelques pas, la laissant stupéfaite et frustrée par cette interruption mal venue.
— Lâche cette foutue balustrade et regarde-moi ! lui intima-t-il à nouveau.
Un grognement d’exaspération lui échappa. Elle rejeta la tête en arrière comme pour implorer le ciel de lui venir en aide et de ne pas céder définitivement à ce séduisant tentateur dont elle devinait le sourire satisfait au coin des lèvres. Ses doigts crispés sur la barre de fer se desserrèrent. Elle capitula et se retourna vivement, furieuse de constater que le sourire était effectivement là, à la narguer. Il était nonchalamment appuyé contre le chambranle de la porte fenêtre, savourant ce énième coup en traître. Au moment où elle se rua sur lui, elle se demandait encore si elle allait lui coller son poing dans la figure ou embrasser ses lèvres à l’expression sardonique. Elle opta pour un baiser à mi-chemin entre les deux, si brutal qu’il fit perdre l’équilibre à l’hybride. Elle l’entraîna, lèvres scellées, jusque dans la chambre où elle le repoussa sans plus de ménagement sur le lit. Il la laissa faire, amusé en apparence, impatient en réalité. Il resta allongé à attendre qu’elle prît, cette fois, l’entière initiative. Il lui devait bien cela après ces quelques jours. Il connaissait sa fougue, avait désespéré de voir briller dans son regard clair ce même désir qu’elle avait éprouvé pour Tyler ce jour-là dans la forêt. Maintenant, elle était là, debout devant lui, sans que la magie ne vînt tromper ses sens et le fixait de la même manière. Après une dernière hésitation, Caroline vint le rejoindre et enjamba ce corps que le sien réclamait de manière assourdissante.
Le tissu rêche de son jean sur la peau nue de ses jambes exacerba ce désir qu’il avait fait naître et qu’il avait maintenant tout intérêt à satisfaire. Elle fit sauter les boutons de son pantalon avec des gestes si impatients que Klaus la saisit par les hanches pour modérer ses mouvements qui menaçaient de lui faire abandonner ses bonnes résolutions. Etre à la merci d’une femme n’était décidément pas dans ses habitudes. Celle-ci avait tout bouleversé, avait ébréché toutes ses barrières, le renvoyaient dans les cordes quand il dépassait les bornes. Elle était son égal. Et lorsqu’elle l’autorisa enfin à glisser en elle, il en eut entièrement conscience. Elle joua avec lui comme il l’avait fait avec elle quelques minutes plus tôt sur le balcon. Elle calait le rythme de ses hanches sur la crispation des traits de son visage, ne le quittait pas du regard, ralentissait ses mouvements quand elle le sentait prêt à lâcher prise. Elle finit par se laisser aller elle-aussi à une irrépressible jouissance qui la cabra. Klaus se reput de cette image avant de basculer à son tour, le regard perdu au fond du sien.
La nuit avait fini par apporter une brise fraîche qui balaya leurs corps nus et encore humides. Caroline s’était à peine assoupie. Quand elle s’éveilla, elle contempla un moment le visage fin et apaisé du vampire jusqu’à ce qu’il entrouvrît lui-aussi les yeux. Elle ne lui laissa pas le temps de reprendre complètement ses esprits. Elle sauta hors du lit et entreprit d’enfiler sa robe.
— Je peux savoir où tu vas ?
— Dormir dans ma chambre.
La réponse lui fit l’effet d’une gifle. Il se redressa prestement pour agripper son bras avant qu’elle ne se défilât et l’attira à lui. Il l’emprisonna sous son poids et détesta d’emblée la lueur de défi qu’il vit briller dans ses yeux bleus.
— A quoi est-ce que tu joues ?
— Ne crois pas que ce qui vient de se passer va effacer ce que tu as fait. Tu m’as humiliée par ta proposition, tu as cru pouvoir faire de moi une poupée bien obéissante et cela pour le moment je ne te le pardonne pas. La rentrée universitaire a lieu début septembre. Tu as exactement sept semaines pour me faire oublier cet affront et me convaincre de renoncer à tout pour te suivre.
Klaus resta bouche bée un moment, le temps d’encaisser les propos plein d’aplomb de la jeune femme. Une expression malicieuse se plaqua finalement sur son visage.
— Je ne pense pas qu’il me faille un si long délai, fanfaronna-t-il.
Il glissa sa main entre eux. Caroline stoppa immédiatement cette vicieuse caresse en le repoussant vigoureusement.
— Il ne sera plus question de cela non plus pendant les sept prochaines semaines, décréta-t-elle en se relevant.
Elle tiendrait bon cette fois. Si elle devait renoncer à tout pour cet homme, ce serait aussi à ses conditions à elle. Klaus se rembrunit. Il s’adossa contre le montant du lit tandis qu’elle cherchait sous les fauteuils de la chambre où ses sous-vêtements avaient bien pu se cacher.
— Donc si je comprends bien, je dois faire mes preuves, commença-t-il en croisant sagement les mains devant lui. Et toi, si je peux me permettre ?
Caroline se redressa. Une expression de surprise lui fit froncer les sourcils.
— C’est donnant-donnant, mon cœur. Si je fais des efforts, tu en fais aussi. Pas de poche de sang pendant sept semaines. Tu te nourris comme un vrai vampire.
La jeune femme croisa les bras sur la poitrine et considéra ce fourbe d’hybride derrière ses paupières mi-closes.
— Très bien. Marché conclu, décida-t-elle au bout de longues minutes de réflexion.
Elle ignora le sourire narquois du vampire et sortit de la chambre avant qu’il ne lui vînt à l’esprit d’ajouter des clauses au contrat. De toute manière, il ne l’engageait pas à grand-chose. Elle trouverait bien un moyen de contourner cet engagement et de se procurer des poches de sang sans qu’il n’en sût rien.
Quand elle eût quitté la pièce, Klaus se laissa couler dans son lit, les mains sous la nuque. Si cette fichue tête de mule pensait pouvoir lui dicter sa conduite, elle se trompait lourdement. Sept semaines ? Il ne se donnait pas sept heures pour qu’elle ne lui cédât à nouveau et n’abandonnât ce stupide vœu de chasteté. Après cette nuit-là, il était hors de question qu’il se privât à nouveau de ce corps fougueux. Finalement, cet été promettait d’être des plus excitants.