La BCE embarque dans le TGV « Yuan »
Publié le 12/10/2013
La BCE a convenu d’un accord de swap monétaire avec la Banque populaire de Chine pour un montant de 45 milliards d’euros. Le Yuan vise la suprématie mondiale.
Par Thibault Doidy de Kerguelen.
Mise à la disposition de yuans et d’euros
En quoi consiste cette opération ? Ces accords passés entre banques centrales permettent aux institutions respectives de fournir à leurs banques commerciales des devises émises par l’autre partie contractante. Autrement dit, il s’agit de s’assurer que les banques chinoises puissent disposer facilement de liquidités en euros, tandis que les banques de la zone euro pourront disposer aisément de yuans auprès de la BCE.
L’objectif est de fluidifier les échanges économiques entre les deux zones. En effet, malgré une libéralisation croissante, l’accès aux yuans reste pour l’instant complexe et coûteux aux entreprises européennes. C’est toujours la BPC qui fixe chaque jour un cours-pivot de la « monnaie du peuple », maintenant les flux de capitaux entre la Chine et le reste du monde sous contrôle. Du coup, faire du commerce avec la Chine demeure difficile pour les entreprises européennes et passe souvent par des implantations à Hong Kong ou Singapour afin de pouvoir disposer d’un accès au Yuan. Dans l’autre sens, le rapatriement des bénéfices réalisés en yuans est également complexe.
Les Chinois décidés à jouer un rôle majeur au Yuan dans les échanges mondiaux
Ce contrôle et ces freins font que l’usage du yuan dans les transactions internationales demeure encore loin de la place que la Chine (deuxième économie mondiale, en passe de devenir la première) tient dans le commerce international. Afin de remédier à cela et de réduire sensiblement la dépendance au dollar de l’économie chinoise, le gouvernement chinois a entamé en 2008 un mouvement d’internationalisation du yuan parallèlement à l’avancée vers une plus grande libéralisation du taux de change. Cela passe par la multiplication des accords de swaps avec les banques centrales. Après les pays proches (Taïwan, Japon, Russie, Indonésie), ce fut le tour de l’Argentine, la Biélorussie et, en juin dernier, le Royaume-Uni.
Sur le plan interne, au 1er janvier prochain, la nouvelle zone économique de Shanghai devrait bénéficier d’une libéralisation accrue des taux de change.
Une attaque frontale du dollar ?
Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises dans ces colonnes la volonté des Chinois et des Russes de contester la suprématie du dollar. Certes, l’euro est déjà la principale monnaie de facturation du commerce mondial, selon Swift, mais le dollar conserve largement son avance en tant que monnaie de réserve. La stabilité de la zone USA est incomparable, même en période de shutdown, à celle de la zone Euro qui traîne son « Club Med » comme un boulet. Après l’échec, celle préférée par les États et les banques centrales. La raison en est simple : la puissance politique des États-Unis apporte une garantie qui n’existe pas pour l’euro. Les projets de monnaie de réserve mondiale ayant sombré dans les méandres d’une affaire de mœurs (comme je l’explique dans l’article cité plus haut), les Chinois sont décidés à jouer leur propre carte. Après la conquête du commerce mondial, les voici à l’assaut de la monnaie (entre autres, car leur offensive sur les réseaux d’information mériterait une enquête approfondie). La stabilité politique de « l’Empire du Milieu » fait potentiellement du Yuan une monnaie de réserve.
Même si l’image dictatoriale du régime de Pékin n’incite pas pour l’instant les investisseurs internationaux à conserver leurs liquidités en yuans, rappelons que certains acteurs comme le président de la Banque Mondiale, Robert Zoellick, avaient dès 2009 prévenu que le yuan pourrait menacer la suprématie du dollar d’ici « 10-15 ans. »
Et la BCE, dans tout cela ?
SI l’un des objectifs de la création de l’Euro était de concurrencer le dollar, il faut reconnaître que sur l’aspect « monnaie de réserve », notre devise est mal positionnée. Les dirigeants européens ont beau s’agiter dans tous les sens et répéter à l’envi « fédéralisme, fédéralisme », les peuples d’Europe sont de moins en convaincus qu’un gouvernement européen, qui plus est aux mains de fonctionnaires, soit un avenir acceptable. Les prochaines élections européennes, qui risquent de faire du groupe parlementaire « eurosceptique » le plus important du parlement, en apportera la confirmation.
Dans ce contexte, la BCE a tout intérêt à ne pas laisser passer le train du Yuan. Londres avait pris les devants avec l’accord de swap de juin dernier, la Suisse a passé en juillet un accord de libre-échange avec la Chine qui fait de la place de Zurich le point de chute idéal pour les échanges monétaires entre le vieux continent et la Chine. Les entreprises européennes, et en particulier allemandes, devaient pouvoir bénéficier d’une place de change dans la zone Euro. Ce sera Francfort. Sur ce coup-là, la BCE ne s’est pas laissée distancer.
Reste à savoir maintenant quel rôle pourra jouer l’Euro dans le choc frontal qui s’annonce entre le Yuan et le Dollar…
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