Crise : le cri d’alarme d’un banquier atypique
11 octobre 2013 | Par Laurent Mauduit
Ancien proche de Philippe Séguin, Jean-Michel Naulot, qui a siégé au collège de l'Autorité des marchés financiers de 2003 à 2013, souligne, dans Crise financière – Pourquoi les gouvernements ne font rien, que la bulle spéculative continue de croître, et invite à redécouvrir un libéralisme régulé.
Un livre sur la crise financière, encore un ! Lorsque l’on découvre l’ouvrage de Jean-Michel Naulot, Crise financière – Pourquoi les gouvernements ne font rien (Seuil, 284 pages, 19 €), on pourrait être pris d’un sentiment de lassitude. L’immense crise, qui a commencé à secouer la planète en 2007 et dont elle n’est toujours pas sortie, a suscité une telle floraison éditoriale depuis six ans qu’on se prend à imaginer que cet ouvrage-là, qui vient après tellement d’autres, et écrit par un auteur assez peu connu du grand public, ne nous apprendra pas grand-chose. Et pourtant si ! C’est un ouvrage important qui retient l’attention. À cause du profil atypique de celui qui l’a écrit. Et à cause des constats qu’il dresse, méticuleux et ravageurs, qui fonctionnent comme un cri d’alarme.
De lui-même, Jean-Michel Naulot ne dit, certes, pas grand-chose dans son livre. Il se borne à indiquer qu’il a été « banquier pendant 37 ans » et « membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF) de 2003 à 2013 » où il « y a présidé la commission des émetteurs, puis la commission des marchés ». On est donc invité à comprendre que cet ouvrage est celui d’un « insider » – d’un très bon connaisseur du monde de la banque et de la finance qui va, de l’intérieur, nous raconter les mécanismes de la crise, alimentée notamment par la machine infernale de la spéculation. C’est d’ailleurs de cette image dont joue l’éditeur, qui a frappé le livre d’un bandeau un tantinet aguicheur : « Un banquier sort du silence ».
Cette présentation est un peu elliptique mais elle n’est pas trompeuse. En réalité, ce que le livre ne précise pas, c’est que Jean-Michel Naulot a longtemps exercé son métier de banquier à Indosuez, la filiale du groupe Suez que ce dernier à revendu au Crédit agricole dans le courant des années 1990, après sa privatisation.
Mais la vérité, c’est que Jean-Michel Naulot est une personnalité encore beaucoup plus atypique que cela. Car il a longtemps été un proche de Philippe Séguin. À l’époque où le « séguinisme » a pris son envol et occupé une place importante dans le débat public, au début des années 1990, notamment dans le feu des controverses autour du Traité de Maastricht, il en a été l’un des experts avisés, pour les questions financières. De cela, non plus, Jean-Michel Naulot ne parle pas. Dans une page de remerciements, il exprime juste sa « reconnaissance à Jean-Louis Debré » qui lui a fait confiance en le « désignant comme membre du collège de l’AMF en 2003, alors qu’il était président de l’Assemblée nationale ». Et ceux qui ne connaissent pas son cheminement intellectuel peuvent juste supposer qu’il avait des sympathies à droite ou dans des mouvances proches du parti néo-gaulliste, qui lui ont valu d’être adoubé à l’AMF.
Or, c’est à l’évidence dommage que Jean-Michel Naulot soit à ce point pudique et parle aussi peu de lui-même. Car il a effectivement été longtemps un compagnon de route du séguinisme, et ce livre en porte la trace. Contre la politique du « franc fort », contre les dangers d’une monnaie unique assise sur d’hallucinants critères de convergence, il a lancé souvent des alarmes prémonitoires, sans que grand-monde ne s’en soucie – j’ai souvent échangé à cette époque avec lui.
Dans ce livre qu’il vient d’écrire, et qui a un très large écho dans la presse – on peut visionner ci-dessous un entretien récent avec lui sur France Info, vendredi 4 octobre –, il y a donc une forme de reconnaissance méritée. Car Jean-Michel Naulot – dont le directeur de collection aux Éditions du Seuil est Jacques Généreux, l’économiste le plus connu du… Front de gauche – n’a jamais changé de convictions. Alors que beaucoup ont fluctué et même abjuré leurs convictions – à la manière d’un Henri Guaino qui, après avoir conseillé lui aussi Philippe Séguin et l’avoir inondé de note contre la « pensée unique » ou la « fracture sociale », est passé dans le camp d’en face, celui de Nicolas Sarkozy –, notre auteur, lui, a manifesté, tout au long de ces années, la même rectitude. Comme dès le début des années 1990, il n’a jamais cessé de sonner le tocsin contre la déréglementation folle du monde de la finance, il est aujourd’hui en meilleure position que d’autres pour tirer les enseignements des ravages qu’elle a créés. De lui, au moins, on ne peut pas dire que c’est un ouvrier de la vingt-cinquième heure.
Crise financière : la colère d'un banquierby FranceInfo
Et c’est sans doute cela, le premier intérêt fort de cet ouvrage – même si ne racontant pas son parcours, l’auteur ne donne pas toutes les clefs pour le comprendre : Jean-Michel Naulot fait partie d’une génération de plus en plus clairsemée, issue de la droite ou du mouvement gaulliste, qui continue à avoir une haute idée de la politique et donc du débat public. De cette génération, que reste-t-il ? Pas grand-chose, ou plutôt pas grand-monde ! Alors que durant des lustres, la controverse économique a été vive, entre les différents courants de pensée qui divisaient la droite, de l’aile libérale jusqu’à l’aile néo-bonapartiste, elle s’est progressivement éteinte. Le sarkozysme y a grandement contribué : l’affairisme a progressé, mais le débat d’idées, lui, a régressé, au point presque de disparaître. Époque sombre durant laquelle la droite a perdu bien des repères, jusqu’à faire siennes les thématiques de l’extrême droite, et du même coup, jusqu’à renoncer à « penser » le monde, et les mutations violentes qu’il traverse.
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