"Apollon nous ordonne de nous étudier nous-mêmes moins pour arriver à posséder la philosophie que pour atteindre un but plus relevé, en vue duquel nous étudions la philosophie elle-même. En effet, si nous nous appliquons à la philosophie, c'est parce que nous avons de l’inclination pour la sagesse et que nous aimons la spéculation. Or, le zèle que nous mettons & accomplir le précepte Connais-toi toi-même nous conduit au véritable bonheur, qui a pour conditions l'amour de la sagesse, la contemplation du Bien, laquelle est le fruit de la sagesse, et la connaissance des êtres véritables (10). Dans ce cas, le Dieu nous ordonne de 617 nous connaître nous-mêmes, non pour nous livrer à l'étude de la philosophie, mais pour arriver au bonheur par l'acquisition de la sagesse. En effet, trouver notre essence réelle, la connaître véritablement, c'est acquérir la sagesse ; or, le propre de la sagesse est d'avoir la science véritable de l'essence réelle des choses, et la possession de la sagesse conduit au véritable bonheur (11).III. [livre IV.] Comme en descendant ici-bas nous revêtons l'homme extérieur, et que nous tombons dans l'erreur de croire que ce qu'on voit de nous est nous-mêmes, le précepte Connais-toi toi-même est fort propre à nous faire connaître quelles facultés constituent notre essence. Platon, en mentionnant dans le Philèbe le précepte Connais-toi toi-même, distingue trois espèces d'ignorance à cet égard (12). L'ignorance de soi-même est donc un mal sous tous les rapports, soit qu'ignorant la grandeur et la dignité de l'homme intérieur (13) on rabaisse ce divin principe, soit qu'ignorant la bassesse naturelle de l'homme extérieur on ait le tort de s'en glorifier. C'est qu'alors on ne sait pas que la nature se joue de toute chose mortelle,Comme, sur les bords de la mer, un enfant
Qui a, de ses mains délicates, élevé des édifices de sable
Les pousse ensuite du pied et les confond en se jouant (14).
618 Ainsi, quiconque, par ignorance de soi-même, exalte son extérieur glorifie plus qu'elle ne le veut la nature qui l'a formé : car il admire comme des chefs-d'œuvre des choses que la nature fait en se jouant, tandis que celle-ci parait estimer chacune de ces choses à sa véritable valeur et ne partage pas l'erreur de ceux qui exaltent ses dons outre mesure. Le précepte Connais-toi toi-même s'applique donc à l'appréciation de toutes nos facultés, puisqu'il nous commande de connaître la mesure de chaque chose. Ce précepte semble signifier qu'il faut connaître notre âme et notre intelligence, parce qu'elles constituent notre essence. Enfin, nous connaître parfaitement nous-mêmes, c'est tout à la fois nous connaître nous-mêmes [c'est-à-dire notre âme], connaître ce qui est nôtre [c'est-à-dire notre corps] et ce qui se rapporte à ce qui est nôtre.
Platon a raison de nous recommander dans le Philèbe de nous séparer de tout ce qui nous entoure et nous est étranger, afin de nous connaître nous-mêmes à fond, de savoir ce qu'est l'homme immortel et ce qu'est l'homme extérieur, image du premier, et ce qui appartient à chacun d'eux. A l'homme intérieur appartient l'intelligence parfaite; elle constitue l'homme même, dont chacun de nous est l'innée. A l'homme extérieur appartient le corps avec les biens qui le concernent. Il faut savoir quelles sont les facultés propres à chacun de ces deux hommes et quels soins il convient d'accorder à chacun d'eux, pour ne pas préférer la partie mortelle et terrestre à la partie immortelle, et devenir ainsi un objet de pitié et de risée dans la tragédie et la comédie de cette vie insensée (15), enfin pour ne pas prêter à la partie immortelle la bassesse de la partie mortelle et devenir misérables et injustes par ignorance de ce que nous devons à chacune de ces deux parties (16)."
Source
L'homme extérieur est là-bas, dans le miroir, dans le regard des autres. Voué à la mort, la maladie et à la vieillesse, il est une chose parmi les choses. L'homme intérieur est ici, à zéro centimètres de nous-mêmes. Sans formes, transparent, léger, grand ouvert, diaphane, il nous suffit de retourner notre attention dans la direction indiquée par ce doigt pour le connaître, plus facilement que n'importe quelle chose :