Délits d’Opinion : Selon un sondage CSA, 54% des Français ne regrettent pas Nicolas Sarkozy. Alors qu’il sort d’un long tunnel judiciaire la question de son retour peut-elle vraiment se poser ?
Ludovic Vigogne : La question du retour de Nicolas Sarkozy ne se pose plus. En effet, c’est un secret de polichinelle: on sait désormais que l’ancien Président veut revenir et qu’il fera tout pour y parvenir. Débarrassé du boulet judiciaire qui aurait pu le barrer sur le chemin du retour en le faisant se retrouver sur le banc des accusés lors d’un procès forcément spectaculaire en 2015/2016, il lui reste maintenant à franchir des obstacles purement politiques. Nicolas Sarkozy compte sur une déroute de son camp aux élections européennes et une percée du FN: aura-t-elle lieu? Autre question-clé: un ou plusieurs challengers auront-ils émerger d’ici là? A ce jour Nicolas Sarkozy bénéficie d’une avance très confortable auprès des sympathisants UMP, mais Alain Juppé est sur une bonne dynamique. François Fillon va lui essayer de se rattraper de sa rentrée complètement manquée. Mais au-delà de la cote de sympathie dont il dispose, Nicolas Sarkozy sait qu’il devra combler sa principale lacune : dépasser le statut de bon candidat de premier tour pour parvenir à rassembler largement au second. Cette faiblesse, déjà présente en 2012, est sans doute un des facteurs qui pourraient lui porter le plus préjudice et qu’un Alain Juppé ou un François Fillon pourrait exploiter.
Délits d’Opinion : François Fillon, Alain Juppé, Jean-François Copé mais aussi Xavier Bertrand : les challengers sont nombreux. Quel positionnement politique d’un challenger serait le plus à même de fragiliser Nicolas Sarkozy ?
Ludovic Vigogne : L’UMP connait un mouvement en réalité très classique pour un parti de droite se retrouvant dans l’opposition. On observe depuis quelques mois, comme cela avait déjà été le cas par le passé, une ligne plus libérale émerger, bien éloignée de celle empruntée par l’UMP au pouvoir. On le voit ainsi adopter des prises de positions très franches: suppression totale des 35h, abandon de l’ISF ou bien encore réductions drastiques des effectifs de la fonction publique. Cette ligne est reprise et portée par François Fillon mais aussi par Jean-François Copé qui a fait de la thématique de la liberté l’un de ses chevaux de bataille. A l’inverse, Nicolas Sarkozy ne semble pas enclin à opter pour cette stratégie. Comme il l’avait fait en 2007 lorsqu’il proposait le « travailler plus pour gagner plus » plutôt que la sortie des 35 heures, il estime toujours que le libéralisme est ultraminoritaire, que les Français ne sont pas prêts à travailler jusqu’à 65 ans et ne souhaitent pas voir les 35h supprimées. Sur ce point, une ligne de fracture entre l’ancien président et ses challengers existe vraiment.
Délits d’Opinion : A Brignoles le Front National a une nouvelle fois réussi un nouveau coup de force. Récemment l’Ifop indiquait que le parti de Marine Le Pen pourrait être le premier parti aux élections européennes. Y-a-t-il eu un changement majeur dans l’opinion ou est ce une lente droitisation ?
Ludovic Vigogne : Il est certain qu’en ce moment tout sert le Front National. Concernant Brignoles, le score du FN n’est pas une surprise totale dans la mesure où ce canton a déjà été emporté par lui. Mais, il est indéniable que le contexte de crise est un terreau propice à la diffusion et à l’ancrage des idées du FN. L’échec de la droite lors des dix dernières années et les difficultés de la gauche depuis le printemps 2012 nourrissent également largement les rangs frontistes. Le FN devient le réceptacle de tous les déçus. Il est vraisemblable que si le climat s’améliorait et que les partis de gouvernement offraient une image moins désastreuse que celle d’aujourd’hui, on observerait un reflux du FN. A moins de cinq mois du scrutin municipal, ces conditions sont très loin d’être réunies. Le FN, refaçonné avec une redoutable efficacité depuis plusieurs années par Marine Le Pen, va donc continuer à progresser.