Liévine-Hyacinthe Dazin, née d’une famille pauvre de Roubaix, entre à son adolescence en 1837 comme gouvernante au service de la famille Motte-Brédart et y restera près de cinquante ans. Cette grande famille bourgeoise de Roubaix faisait partie des industriels du textile de la région, et en même temps que leur vie quotidienne partagée par Liévine, le lecteur suivra avec intérêt cette formidable expansion économique des industries du Nord, qui a transformé la région et tout particulièrement la ville de Roubaix au cours du XIXe siècle. On découvre la "ville aux cent cheminées", sa pauvreté, les conditions de travail et d’habitat déplorables des ouvriers et celles très agréables des familles des grands patrons, ainsi que les révoltes qui ont amené des progrès humains nécessaires. Au service des années passées au service de Jean-Baptiste Motte et de son épouse Pauline Brédart, dont elle s’est toujours sentie très proche, Liévine a été un témoin discret de cette époque, tant du côté des riches que de celui de son milieu social extrêmement pauvre. À tel point qu’elle est enterrée avec eux au cimetière de Roubaix.
Le fond de ce roman historique est tout à fait passionnant et j’ai adoré découvrir le Roubaix de cette époque, bien différent de celui que je connais, ainsi que son évolution au fil des ans, parallèle au développement économique de l’industrie textile. J’ai aimé aussi retrouver les lieux que je connais bien, hôtels particuliers, rues, monuments et les voir revivre dans des conditions différentes. De plus, l’auteur mêle des faits historiques à une histoire romancée, assez habilement puisqu’il faut bien connaître l’histoire de la région pour séparer la réalité de la fiction. Mais il est très dommage que le style soit si désagréable, très journalistique et pas spécialement agréable à lire. De plus, j’ai noté quelques petites incohérences dans le récit, pas très graves, mais qui m’ont un peu refroidie (Liévine est arrivée dans la famille Motte alors que les enfants sont déjà tous nés (le dernier a 9 ans) et on retrouve quelques pages plus loin la mention « elle a mis tous les enfants au monde »).
« L'industriel est, sans doute, le citoyen qui court tous les jours le risque de perdre à la fois un capital, son fonds de roulement, son bénéfice... il court ces trois risques à la fois, ce qui le distingue d’autres spéculateurs. Le paysan ne perd jamais que sa récolte, et une revanche lui viendra, pourvu qu'il veuille ou puisse attendre. L'ouvrier ne sacrifie que son salaire. Le commerçant n'expose, en principe, que son fonds de roulement. L'intermédiaire ne met en jeu que son crédit. Paysan, ouvrier, commerçant et intermédiaire ont la faculté plus ou moins large de se retourner ! »
« Mais l'industrie, poursuit-elle, dans la même journée, une invention nouvelle, un droit de douane, un tarif de transport, un décret, un accident, voir un manque d'eau peut frapper à mort son entreprise, rendre ses immobilisations stériles ou plus lourdes, détruire son capital, une chute de prix peut déprécier les stocks et annihiler les fonds de roulement, une erreur quelconque de fabrication ou de vente peut transformer en perte le bénéfice escompté. En tant qu'industriels, nous n'avons aucun moyen de "nous retourner". »
Le Noooord, bien sûr !