Le trompe-l’œil américain : Obama et le "shutdown"

Publié le 11 octobre 2013 par Sylvainrakotoarison

Féroce bras de fer entre républicains et démocrates sur le budget fédéral des États-Unis. Des enjeux pas forcément très évidents à décrypter.

Depuis le 1er octobre 2013, les États-Unis vivent dans une sorte de grève de l’État fédéral. Une grève pas décidée par les "travailleurs", à savoir les fonctionnaires fédéraux, mais par la classe politique sous le nom de shutdown. En gros, on peut lire un écriteau de ce type : « Le gouvernement fédéral américain est fermé ! ».

Le 8 octobre 2013, le Président Obama a donc mis en garde une nouvelle fois les représentants républicains contre le blocage des services de l’État :

« If you're in negotiations around buying somebody's house, you don't get to say, "Well, let's talk about the price I'm going to pay, and if you don't give the price then I'm going to burn down your house". That's not how negotiations work… In the same way, members of Congress, and the House Republicans in particular, don't get to demand ransom in exchange for doing their jobs. And two of their very basic jobs are passing a budget and making sure that America is paying its bills. »

Ce qui, traduit, donne (à peu près) ceci (je ne suis pas un expert de la traduction) :

« Si vous êtes en discussion avec quelqu’un pour l’achat de sa maison, vous n’avez pas intérêt à dire : "Eh bien, parlons du prix que je veux payer, et si vous n’acceptez pas ce prix, alors je mettrai le feu à votre maison". Ce n’est pas comme cela que fonctionnent les négociations… De la même manière, les membres du Congrès, et en particulier les républicains de la Chambre [des représentants], ne doivent pas faire du chantage pour remplir leurs missions. Et deux de leurs missions fondamentales, c’est de voter le budget et d’être sûrs que les États-Unis honoreront leurs dettes. »

La situation est assez extraordinaire.
Presque surréaliste.

Elle ne s’était pas produite depuis 1995 avec trois semaines de "shutdown". Mais en fait, ce n’est pas si rare que cela puisqu’il y en a eu dix-sept entre 1974 et 1995, soit une fréquence de trois budgets sur quatre !


Elle est surréaliste car c’est assez impressionnant d’entendre un Président américain laisser penser que son pays ne payerait pas ses dettes. Il est même allé le dire le 2 octobre 2013 à Wall Street : « Cette fois-ci, il est peut-être temps de paniquer ! ».

Et concrètement, la Maison Blanche ne cesse d’envoyer des messages alarmistes depuis ces dix derniers jours : parler du petit garçon qui ne peut plus visiter le Grand Canyon, des anciens combattants venus de tous les États-Unis pour rendre hommage à leurs camarades morts au combat interdits d’accéder au monument aux morts de la Seconde guerre mondiale (le 2 octobre). Ces exemples sont très nombreux.

Pourtant, la situation du pays est très loin d’être catastrophique.

Si effectivement huit cent mille fonctionnaires fédéraux sont au chômage technique, il y en reste encore plus de trois millions et demi qui bossent malgré l’absence de budget. La plupart des administrations fonctionnent toujours : le fisc, les tribunaux, l’armée, la sécurité sociale sont toujours actifs.

De plus, près de 85% des dépenses fédérales continuent à être payées comme s’il ne s’était rien passé (ou plutôt, c’est le contraire, comme si le vote du budget avait été acquis). Et c’est normal car c’est le droit budgétaire américain qui veut cela. Celui-ci fait la différence entre les dépenses obligatoires et les autres dépenses. Les dépenses obligatoires sont assurées dans tous les cas, sauf si le Congrès décide d’en supprimer (c’est ce que veulent les républicains en repoussant le financement de la réforme de l’assurance santé).

Dans les dépenses obligatoires, toutes celles qui ont été acquises précédemment, à savoir notamment toutes les indemnités (chômage, santé etc.). Cela représente 2 500 milliards de dollars. Il faut rajouter 200 milliards pour les intérêts de la dette et 600 milliards pour le budget militaire. Il faut donc diviser le total par les 3 800 milliards de dépenses totales, et cela fait seulement un cinquième de "fermeture". Et encore, le Président peut réquisitionner certaines personnes de ces dépenses non obligatoires et dans les faits, un quart d’entre elles viennent justement d’être déclarées "essentielles" et travaillent donc toujours.

Donc, le pays continue de tourner pour plus des quatre cinquièmes de sa capacité.
L
e bras de fer entre Barack Obama et le Congrès porterait sur la réforme de l’assurance santé (Obamacare) que les démocrates avaient réussi (laborieusement) à faire adopter l’an dernier. Les républicains voudraient reporter à l’année prochaine son financement. Or, c’est le seul fait d’arme que Barack Obama peut espérer pour ses deux mandats. La réforme sur l’emploi a été déjà abandonnée après la victoire des républicains à la Chambre des représentants.

Oui mais non.

Car les démocrates refuseront tout compromis qui n’intégrera pas le financement de cette réforme dès 2013. Et si le budget n’est pas voté, ce financement fait de toute façon partie des dépenses obligatoires, donc, d’office, cette réforme sera financée.

La raison est peut-être ailleurs.


Le Président Obama charge énormément les républicains en ce moment. Il explique que c’est à cause de la Chambre des représentants (à majorité républicaine) que le budget n’est pas voté. Mais en fait, ce n’est pas vrai. Le projet de budget a été voté par les représentants, et ce sont les démocrates du Sénat qui l’ont refusé. C’est la Chambre qui a l’initiative du budget, comme l’indique l’article 1.7 de la Constitution des États-Unis. Donc, dans la procédure parlementaire, ceux qui font obstruction, ce ne sont pas les républicains mais les démocrates.

Obama charge aussi les républicains en dramatisant la situation de la dette. Le 17 octobre 2013 (dans très peu de jours, donc), les États-Unis atteindront le plafond de la dette autorisé par le Congrès, à savoir16 669 milliards de dollars (pas de quoi s’offusquer : la France va bientôt atteindre les 2 000 milliards d’euros). Sans accord des républicains, ce plafond ne pourra pas être réhaussé. Obama fait croire que les républicains vont refuser cette modification (pour garder un bon rapport de forces) et qu’ils vont précipiter le pays dans le défaut de paiement de sa dette.

Pourtant, les démocrates avaient refusé plusieurs fois, il y a peu, la proposition des républicains de garantir le paiement des dettes fédérales dans toutes les circonstances. Ce qui éviterait aujourd’hui cette tension sur la dette.

Donc, il y a une grande part de communication dans cette situation qui est loin d’être inquiétante pour les partenaires financiers du pays, qu’ils soient les assujettis sociaux qui reçoivent des indemnités ou les prêteurs qui reçoivent les intérêts des emprunts.

Dans tous les cas, la réforme d’Obama sur l’assurance santé sera financée dès maintenant, et le service de la dette sera assuré (car les républicains ont toujours été responsables dans ce domaine, leur crédibilité économique en dépend).


Alors, pourquoi un tel bras de fer ?
Sans doute en prévision de l’après-Obama.

En novembre 2014, il y aura des "élections intermédiaires" que l’opposition présidentielle gagne généralement. Ce sera alors la préparation pour mettre en piste un candidat pour les élections de novembre 2016.

En refusant de cautionner la réforme de l’assurance santé, les républicains montrent leur inflexibilité contre tout ce qui relève de l’assistanat et de l’augmentation de la dépense publique, et confirment leur foi en l’initiative privée.

L’inflexibilité des démocrates montre au contraire leur résolution à maintenir cette réforme que Bill Clinton avait échoué de mettre en place il y a une quinzaine d’années.

Certains républicains modérés ne voient d’ailleurs pas d’un mauvais œil que le Président Obama tiennent tête aux plus fougueux des républicains. Ils savent que si le Tea-Party gagne la primaire des républicains, les démocrates auront un avantage électoral décisif pour les prochaines élections présidentielles.

Ce rapport de forces parlementaires sera sans doute arbitré par… l’opinion publique, et donc, par les sondages. C’est la raison de la campagne de communication issue de la Maison Blanche, faire porter la responsabilité du shutdown aux seuls parlementaires républicains et les rendre impopulaires.

Jamais les États-Unis n’ont été autant clivés entre deux conceptions très différentes du rôle de l’État (faut-il plus ou moins de dépenses publiques ?). Peut-être bien plus clivés que l’artificiel clivage gauche/droite en France…

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 octobre 2013)
http://www.rakotoarison.eu

(Lire à ce sujet l’analyse de Sébastien Castellion,
journaliste de Metula News Agency, parue le 7 octobre 2013).

Pour aller plus loin :
Obama réélu (7 novembre 2012).
Obama vs Romney (6 novembre 2012).
Prix Nobel de la Paix (9 octobre 2009).
Obama est-il un bon manager ? (21 avril 2009).
Obama et la peine de mort (23 janvier 2009).
Obama Day (20 janvier 2009).
La vraie élection d’Obama (17 novembre 2008).
Sarah Palin (3 octobre 2008).

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/le-trompe-l-oeil-americain-obama-142041