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Tjibaou selon Césaire

Par Christian Tortel

La disparition d’Aimé Césaire et ce dixième anniversaire du Centre Tjibaou sont l’occasion de se replonger dans le catalogue de l’exposition, De jade et de nacre, présentée initialement dans un autre lieu de culture de Nouméa, le Musée territorial, puis en 1990 à Paris.

Voici ce qu’écrivait Aimé Césaire (1913-2008) à propos de Jean-Marie Tjibaou (1936-1989), en 1990 :

Si dans la rétrospective des hommes de l’année, il y a une figure que l’on a pas le droit d’oublier, c’est celle de Jean-Marie Tjibaou, car nul à mes yeux n’incarne mieux en cette fin de siècle, et de manière plus pathétique la noblesse et la grandeur véritable mises au service d’un petit peuple luttant pour sa survie et la survie d’une civilisation.

Démarche en vérité exemplaire. Son premier mot d’homme politique (non pas de politicien mais d’homme) est un mot qui livre l’essentiel : « relever la tête ! ».

Oui, Kanak. Fondamentalement Kanak et fier de l’être.

Kanak, autant dire fidèle. De cette fidélité qui va, par-delà l’Ancêtre, à la Terre-mère, la Terre, entrailles toujours vivantes. De cette fidélité qui seule rend légitime l’action politique qui, au demeurant, n’est que prolongement et ne peut être que « béquille ».

Kanak donc et parce que Kanak d’une exemplaire fidélité, responsable.

Le grand mot est lâché.

Responsable de l’avenir.

Responsable du présent et du devenir.

Responsable de la vie à maintenir, à renforcer, à transmettre…

Alors inévitablement devait se poser la question :

« Comment, mais comment être kanak dans le monde moderne ? »

Il ne s’agit pas d’archaïsme. Il faut prendre le monde en charge et, l’orientant, tâcher de lui donner sens : un sens humain.
Il ne faut pas plus pour comprendre Matignon. Non pas ce compromis, mais au contraire, cette percée. Cette avancée. Cette victoire.

Et d’abord, une victoire sur soi… La plus grande des victoires. Sur la douleur intime. Sur le ressentiment. Sur la légitime méfiance.

Au terme, l’inter-reconnaissance.

Le partage.

Don. Contre-don. Partage.

Autant de mots occasionnellement employés par d’autres, mais qui sont des mots kanak, donc des mots de Tjibaou.
D’ailleurs, l’homme était d’abnégation totale et de générosité. Pas naïf. Généreux. Et parce que généreux, prêtant à l’autre sa générosité. Le croyant toujours capable d’un sursaut, d’un geste, d’une conversion.

Oui, même le colon.

Oui, même le colonisateur.

En vérité, le combat pour son pays, pour sa terre, c’est avec les armes les plus nobles et au nom des valeurs les plus hautes qu’il le mena, et jusqu’au bout :

« Kanaké est un des plus puissants archétypes du monde mélanésien. Il est l’Ancêtre, le Premier né. Il est la flèche faîtière, le mât central, le sanctuaire de la grande case. Il est la parole qui fait exister les hommes. »
Jean-Marie Tjibaou combattait pour Kanaké.

Le Nobel de la paix. D’autres l’ont eu et qui le méritaient. Jean-Marie Tjibaou lui aussi le méritait. Et il eût été bien que le reste du monde honorât la noblesse de la démarche d’un fils d’un tiers monde lointain et oublié.

Il est mort. Foudroyé par un des siens.

Cette mort, il l’avait pressentie et en avait d’avance acceptée le risque, lui qui souvent parlait du « grand trou noir ».

Aujourd’hui, disons simplement qu’il n’est pas au pouvoir du « grand trou noir » de tout engloutir.

Jean-Marie Tjibaou, pour l’essentiel, demeure.

Il aurait inventé une voie nouvelle : la voie kanak de la décolonisation.

Je vois l’allée.

Bordée de cordyline virile d’une tendresse d’érythrina.

Jean-Marie Tjibaou s’avance.

Dominant l’allée, sur la colline,

L’araucaria pérenne.

Tous les éléments du mythe fondateur sont là.

Jean-Marie Tjibaou s’avance et son indéfinissable sourire l’annonce :

« Kanaky nous est né. »


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