Nous vous parlions il y a quelques semaines de la sortie imminente de Silo, le dernier blockbuster science-fictionnesque à avoir défrayé la chronique outre-Atlantique. Et nous vous annoncions également alors que l’événement littéraire serait double, puisqu’en plus de nous offrir la possibilité de lire l’une des dernières grandes réussites de l’autoédition mondiale, Silo inaugurerait une nouvelle collection de science-fiction chez la très célèbre et très sérieuse maison Actes Sud (collection dénommée Exofictions). Une semaine après la sortie et 550 pages plus loin, il est temps pour nous de vous donner notre ressenti sur ce qui n’est apparemment que le premier tome d’une trilogie. Descendons donc dans le Silo.
Lecture proposée par les éditions Actes Sud
L’avis d’Emmanuel
Premier étage, quelques mètres sous la surfaceBien que l’histoire de la publication de Silo traine un peu partout sur internet, je ne peux m’empêcher de la rappeler en ouverture de la présente critique, tant elle me semble éclairante pour le lecteur qui se confronte au roman. Hugh Howey, qui pour les besoins de la cause été érigé en baroudeur ayant jeté l’ancre, ancien skipper qui a posé ses bagages à quai pour s’adonner pleinement à l’écriture, autopublie sur Amazon mi-2011 une nouvelle de SF qui reçoit un chaleureux accueil et s’écoule à plus de 1000 exemplaires. Encouragé par ce franc succès, le jeune Howey poste une suite quatre mois plus tard. 3000 exemplaires en un mois. Plébiscite. Emballement. Deux nouveaux épisodes suivent en l’espace d’un mois, puis un dernier le mois suivant. Le succès est là, réédition en format compilé, numérique et papier, vente des droits pour le cinéma et à l’international, Hugh Howey est le nouveau génie de la science-fiction, porteur du renouveau du genre, imagination forte du siècle débutant.
Vingtième étage, nurserieClairement, c’est donc autant une petite légende qu’un roman de science-fiction que l’on attaque en commençant à compulser Silo. Avec tout ce que cela peut apporter de plaisir ajouté et de déceptions potentielles. Et donc, en ce qui me concerne, de réticences. Pourtant, force est de constater que j’ai d’abord bien accroché. Le concept du petit bout d’humanité enfermé dans un minuscule havre protecteur autogéré, isolé du vaste monde qu’a dévasté une apocalypse n’a certes rien de très original. Mais la mise en scène qui en est faite, silo creusé profondément dans les entrailles de la terre protectrice, à la vertigineuse verticalité, hyperorganisé, et dont la cohésion est maintenue sous la pression exercée par la vision permanente d’un horizon désolé à travers l’œil d’une caméra que nettoient les bannis du silo avant de rendre leur dernier souffle a su éveiller ma curiosité. Ce d’autant que les deux premiers récits sont assez bien construits, écrits sans recherche particulière, mais dans une langue agréable, et surtout assez denses, parvenant à raconter une histoire qui tient en haleine tout en y intégrant les informations utiles à la mise en place de l’univers que l’on prend ainsi plaisir à découvrir. De plus, ces deux premières « nouvelles », bien qu’elles se trouvent dans la continuité l’une de l’autre, développent des nœuds narratifs distincts et l’on se laisse aller un instant à espérer une nouvelle grande fresque mosaïque comparable à Des milliards de tapis de cheveux dont nous vous avions parlé il y a maintenant bien longtemps.
Cent vingt-sixième, les FournituresMalheureusement, c’est un véritable tournant que l’on ressent dès le début du troisième récit : l’écriture devient immédiatement moins soignée, l’univers moins travaillé, les recettes utilisées, convenues. Surtout, les ficelles deviennent apparentes, et la trame narrative clairement moins pensée. Au lieu de préserver la densité qui faisait la force des deux premières nouvelles, Howey se laisse aller à fractionner l’action pour entretenir un suspens qui ne tient le lecteur que parce qu’il devient désireux de vérifier qu’il a deviné juste. Il cède aux poncifs qui font le succès des romans contemporains (histoire d’amour impossible, imposée au pied de biche, héroïne increvable, jeune homme au fort potentiel dépassé par les événements auquel s’identifiera tout adolescent normalement constitué…) et oublie de donner de la consistance à certains de ses personnages, dont, chose impardonnable, son « méchant » (malgré un sursaut un peu métaphysique dans les cent dernières pages, qui arrive malheureusement trop tard).
Dessous les cent trente, les MachinesAlors certes, on ne peut pas dire que l’on s’ennuie vraiment. Silo se lit bien, rapidement, et on ne se dit à aucun moment que l’on a mal investit son argent (surtout quand, comme nous, on a reçu le livre en cadeau). Mais on ne peut s’empêcher de penser que le succès trop vite arrivé a fait tourner la tête du jeune auteur et gâché un joli potentiel. Car l’univers qu’il avait mis en place dans les deux premiers textes – qui représentent, chose qui ne trompe pas, 50 pages sur les 550 que compte le livre – offrait de jolis potentiels de développements, qui auraient pu permettre de faire de Silo une œuvre véritable, pleine, qui aurait occupé une digne place au panthéon de la science-fiction. Au lieu de quoi, ce premier tome n’est qu’un page turner commercial moyennement ficelé. En sera-t-il autrement des deux suivants ?
A lire ou pas ?Pour moi, la lecture de Silo est donc dispensable, sans que je ressente le besoin d’essayer de dissuader les éventuels intéressés. Car il est, j’en suis très conscient, un nombre non négligeable de lecteurs auxquels n’agréerons pas mes critiques, car elles ne feront nul sens pour eux. Et ce nombre est probablement plus grand encore lorsqu’il s’agit de littératures de l’imaginaire. Que ceux-là me pardonnent et se délectent d’un pavé consommable de plus. Il y a toutefois fort à parier (et à espérer) que les éditions Actes Sud, dont j’apprécie tant le travail habituellement, visent en se lançant dans l’édition de romans d’imagination, un peu plus haut que le sommet du Silo 18.
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