L’objectif général est de préciser quelles pistes d’amélioration de la sécurité des patients présente cette nouvelle approche, alors que les approches traditionnelles présentent des limites, sont anciennes et se révèlent souvent inadaptées face à la complexité des nouveaux systèmes.
« L’ingénierie de la résilience », une approche alternative : Proposée en 2006 par une communauté internationale de chercheurs, la résilience désigne « l’aptitude intrinsèque d’un système à ajuster son fonctionnement avant, pendant ou suite à des changements et des perturbations, de sorte à ce qu’il puisse poursuivre son activité dans des conditions attendues ou inattendues »*. L’ingénierie de la résilience est donc la discipline technique qui développe les concepts et les méthodes pour mesurer, évaluer et générer cette capacité. Depuis, l’approche a été adoptée en management, en analyse du retour d’expérience, dans la réalisation d’audits, la reconnaissance des compétences non techniques, les formations à la sécurité, la recherche des erreurs latentes… Dans les systèmes résilients, les acteurs ont développé des savoir-faire très efficaces pour traiter les situations rares et déstabilisantes mais ne sont pas pour autant en mesure de procurer un haut niveau de sécurité. À l’inverse, des systèmes peuvent être très sûrs, très robustes mais avoir perdu toute capacité de résilience. Ainsi, dans le courant de la résilience, la sécurité n’est pas un état à atteindre par le système, mais une caractéristique de son fonctionnement. Un système résilient est capable de suivre et de piloter en continue sa propre performance et ses ressources, de manière proactive. L’exemple apporté par l’auteur est la capacité de l’OMS, avec son « Plan de préparation » pour faire face à une éventuelle pandémie de grippe.
La résilience s’intéresse autant aux évènements négatifs qu’aux succès : elle ne cherche pas seulement à éviter les accidents, elle cherche aussi à comprendre pourquoi les systèmes réussissent de sorte à encourager la variabilité positive (improvisation, bricolages, stratégies novatrices, etc.). L’ingénierie de la résilience peut ainsi permettre le développement d’une capacité d’adaptation des systèmes
En matière de santé, l’adaptabilité doit se combiner au protocole : En matière de sécurité des patients et d’évitement des évènements indésirables, si des efforts importants ont été mis en œuvre, tels que des protocoles de soin et des bonnes pratiques, des conférences de consensus, l’accréditation, la certification, la création d’organismes de contrôle et de surveillance, tous à l’origine de progrès considérables, ces dispositifs restent insuffisants car souvent locaux et spécifiques. Il devient donc nécessaire de développer des démarches de prévention pluridisciplinaires, systémiques et organisationnelles pour nos systèmes de santé très complexes. Des processus qui impliquent l’intervention de différentes équipes, constituées de soignants ayant des métiers, des cultures professionnelles, des formations et des niveaux d’expériences diversifiés, eux-mêmes à l’origine d’une très large variabilité des imprévus. C’est là que prend tout l’intérêt de l’ingénierie de la résilience car elle intègre la logique de l’evidence based medicine et la nécessité de l’adaptabilité de la pratique clinique. Elle permet de s’interroger sur les règles, certes nécessaires mais aussi sur leurs limites dans des cas patients souvent très spécifiques.
L’anesthésie, le « cas d’école » considéré par l’auteur, en raison du caractère primordial de sécurité et de règles et pratiques standards a déjà mis en pratique l’approche en pratique, car la discipline se doit être capable de suivre et de piloter en continue sa propre performance, de manière proactive. Cette capacité de contrôle implique de tenir compte non seulement des risques du système, de la service et du patient. L’objectif n’est donc pas de supprimer cette variabilité mais de savoir en tirer parti. Dans le cas de l’anesthésie, cela implique de pouvoir débattre ouvertement des avantages et bénéfices des différentes stratégies puis de partager les meilleures pratiques.
La nécessité d’une culture du compromis : Au-delà, cette approche favorise la capacité des soignants à mettre en œuvre des stratégies gérées, parfois par des décisions de compromis, dans une grande diversité de situations cliniques. Certes, en matière de santé, le concept est encore flou et les outils opérationnels restent à construire, conclut l’auteur. Les questions de responsabilité restent également à aborder et à préciser. Cependant l’ingénierie de la résilience semble être une approche privilégiée pour contribuer à répondre à l’objectif de sécurité des patients.
Source: Revue Sante Publique (Pratiques et organisation des soins) n°4-2013 L’ingénierie de la résilience : un nouveau modèle pour améliorer la sécurité des patients ? L’exemple de l’anesthésie (Visuel Fotolia)
*Hollnagel E, Pariès J, Woods D, et al. Resilience Engineering in Practice: A Guidebook. Surrey (UK): Ashgate Studies in Resilience Engineering; 2010