Appels à la grève
diffusés sur internet,
notamment via Facebook.
Pour se représenter l’état d’esprit de l’opposition égyptienne, il suffit d’imaginer que vous lisez ces lignes en 2035 : la France vit sous le régime de l’Etat d’urgence depuis 28 ans, soit la durée du règne de l’immuable président Sarkozy qui va sur ses 83 ans …
Ce dimanche 4 mai, le président Moubarak célèbre "seulement" ses 80 printemps, l’occasion pour l’opposition égyptienne d’appeler une nouvelle fois à la grève. Le précédent mouvement, le 6 avril dernier, s’était soldé par de violents incidents, notamment à Mahalla al-kubra au nord du Caire, entraînant la mort d’au moins un manifestant, suivie de centaines d’arrestations.
Même si le président a annoncé dans son discours du 1er mai une hausse très inattendue de près de 30 % du salaire des fonctionnaires (12,2 milliards de livres égyptiennes selon le ministre des Finances, plus de deux milliards de dollars à trouver dans le budget national…), les raisons de manifester ne manquent pas : coût de la vie bien entendu, chômage, et tout récemment un contrat avec Israël pour la livraison de gaz à un prix sans doute largement inférieur aux tarifs du marché (il n’a pas été rendu public, en dépit des demandes de certains parlementaires). Mais on imagine l’effet dévastateur d’un contrat qui permet aux centrales électriques israéliennes d’augmenter de 20% leur capacité de production quand la population de Gaza, sous le blocus, doit se passer de toute ressource énergétique !
On s’attend à ce que cette seconde journée d’action soit plus suivie encore que la première. Après bien des tergiversations, le parti (semi-légal) des Frères musulmans, le plus puissant des mouvements d’opposition, a en effet décidé cette fois de s’associer au mouvement.
De leur côté, les autorités ont déployé les grands moyens : tandis que les ténors du parti au pouvoir dénoncent dans la presse officielle un mouvement qui ne représente pas les vraies tendances de la société civile et qui serait même manipulé par l’Amérique (!), les religieux fidèles au régime rappellent à leurs ouailles les dangers qui guettent ceux qui se risqueraient à se joindre à la grève. Plus radicalement encore, les autorités ont demandé ces derniers jours aux trois opérateurs de téléphonie mobile du pays de couper quelque 250 000 lignes trop anonymes à leur goût (les abonnés ayant négligé de remplir les informations les concernant sur leur contrat).
Quel que soit son bilan, cette seconde journée de protestation confirme d'ores et déjà le rôle joué désormais en Egypte par les technologies de la communication comme vecteur de mobilisation. L’incarcération de blogueurs - connus (voir ce récent billet) ou moins connus (Esraa Abdel-Fattah إسراء عبد الفتاح par exemple, une jeune employée de 27 ans, membre du parti Al-Ghadd) – n’y change rien : les appels à la grève se diffusent comme une traînée de poudre via les portables, mais également sur internet, à travers d’innombrables sites, blogs, salons de discussion, qui sont loin d’être tous exclusivement politiques.
Sur Facebook – qui inquiète tout autant les Syriens que les Israéliens – des groupes qui rassemblent parfois plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs font circuler les appels à la grève ou encore une série de "30 conseils pour la désobéissance civile du 4 mai" (نصيحة للعصيان المدني في 4 مايو).
Le mai 68 égyptien mobilise une jeunesse qui ne se reconnaît pas totalement dans les partis d’opposition traditionnels. Agés d’à peine vingt ans, les manifestants d’aujourd’hui utilisent les nouvelles technologies de la communication tout comme ils inventent de nouvelles formes d’expression politique, radicalement nouvelles pour la région.
Pour préparer la grève, on a ainsi demandé aux manifestants (250 000 ont annoncé leur intention de le faire) de s’habiller en noir, notamment en signe de deuil pour les victimes de la répression du 6 avril. Sous le mot d'ordre "le pognon du gouvernement, c’est un tract pour l’opposition" (فلوس الحكومة منشورات للمعارضة), les appels à la grève, les "Casse-toi" (إرحل), les "Non à Moubarak" ont été écrits sur les billets de banque en circulation. Un concert de casseroles est programmée pour le dimanche 4 sur les terrasses des immeubles du Caire.
Comme de bien entendu, la musique et en particulier le rap, particulièrement en vogue dans la jeunesse du monde arabe (voir ces deux billets : 1 et 2), participe à la fête et voilà ce que ça donne en arabe (cliquer pour écouter):
هيمنة هيمنة مفيش أي نوع من الحرية.. كل حاجة ثابتة زي ما هيه، كفاية كده سرقة سرقة بلطجة عربجة.. المطلوب تكون زي الناموس محدش حتى يسمع زنك.. مستوى معيشة الفرد بقا في الضياع.. الفقراء بيزدادو فقر والأغنياء بيزيدوا غنى والطبقة المتوسطة خلاص خطفها الصقر، الناس بتدور على المصالح والتفكير بقا في الضياع
(Tentative de traduction : Opprimé, opprimé /Pas de liberté /Tout est coincé, bloqué / Les vols, assez ! / Nervis dépravés / Comme un moustique écrasé / Faut même pas bouger / Pouvoir d’achat envolé /Les pauvres toujours plus pauvres / Les riches toujours plus riches / Les classes moyennes toujours plus envolées /Chacun cherche à s’en tirer / Plus personne veut penser…)
En prime pour les arabophones, un intéressant débat à la télé sur la mobilisation politique et les nouvelles technologies. Et d'autres morceaux de rap politique (cliquez sur les T-shirts !)