Lu dans Libération :
La cote de confiance de Nicolas Sarkozy chute encore en mai de cinq points par rapport au mois précédent, atteignant seulement 32% dans le baromètre TNS/Sofres-Le Figaro magazine.
Les Français sont désormais 66% à ne pas faire confiance au chef de l’Etat.
Sale populo ingrat. Tout cela alors que Votre Président se flagèle à la télé à grands coups de trique pour vous complaire. Mais peut-être le bon peuple a-t-il déjà entendu la chanson? Cela a commencé en février, rappelez-vous, avec le “Casse toi pauv’ con” et la vraie-fausse palinodie du “Cela étant, j’aurais mieux fait de ne pas lui répondre.” Mais Notre Président n’avait pas encore atteint la plénitude de sa contrition. Le 6 mars, il en rajouta une couche et sortit son fouet clouté dans un entretien généreusement accordé au Figaro :
“Qui serais-je si je ne reconnaissais pas mes erreurs ? On en commet, j’en ai commis.”
Quelle componction ! Quelle merveille d’honnêteté ! Tout cela pour 32 % ?
Et tout cela alors qu’il a “changé”! Il nous l’a dit, répété ! Mais peut-être, une fois encore, le bon peuple a-t-il déjà entendu la chanson.
Son divorce l’a changé, parce qu’il a souffert. L’arrivée de Dame Carla l’a changé, comme la presse nous l’a assené jusqu’à l’écœurement, parfois à coups de sondage, comme dans cet article de L’Express du 4 avril. Déjà, dans son discours d’investiture à l’UMP du 14 janvier 2007, il avait changé. Extraits (empruntés au site de Jean Véronis):
J’ai changé. J’ai changé parce qu’à l’instant même où vous m’avez désigné j’ai cessé d’être l’homme d’un seul parti, fût-il le premier de France. J’ai changé parce que l’élection présidentielle est une épreuve de vérité à laquelle nul ne peut se soustraire. […] J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé. Je veux le dire avec pudeur (sans blague !?) mais je veux le dire […]. J’ai connu l’échec, et j’ai dû le surmonter. […] J’ai changé parce que le pouvoir m’a changé. […] J’ai changé parce que nul ne peut rester le même devant le visage accablé des parents d’une jeune fille brûlée vive. […] J’ai changé parce qu’on change forcément quand on est confronté à l’angoisse de l’ouvrier qui a peur que son usine ferme. […] J’ai changé quand j’ai visité le mémorial de Yad Vashem dédié aux victimes de la Shoah. […] J’ai changé quand j’ai lu à Tibhirine le testament bouleversant de frère Christian, enlevé puis égorgé par des fanatiques avec six autres moines de son monastère.
On passera sur le caractère parfaitement obscène des amalgames effectués ici (ma life, mon couple, la souffrance des autres - tout cela sur le même plan puisque Notre Futur Président était déjà tout à lui tout seul). Une chose est sûre: pris par cette avalanche d’émotions, de découvertes, de pouvoir, d’épreuves vraiment terribles mais finalement surmontées, il a vraiment beaucoup changé…
Reste à comprendre alors pourquoi les Français restent sourds à ces proclamations déchirantes. Analyse fondée sur l’opposition entre essence et accident ? Assimilation du Président à un énorme artichaut dont il resterait encore des couches de feuilles à enlever avant d’en découvrir le coeur? Lassitude face à ce changement permanent ? Compréhension que cette misérable poudre aux yeux sert simplement à masquer des changements plus grave (Code du travail massacré, droit à la retraite en passe d’être piétiné, système d’enseignement réduit au b.a.-ba le plus réactionnaire, institutions culturelles ouvertement compissées etc.)?
Non, rien de tout cela. Les Français ont tout simplement médité la réflexion formulée par Tacite (55-120 ap. J.-C.) à propos de l’Empereur Othon (32-69 ap. J.-C.), ex-fêtard blingbling dont la jeunesse avait été tout entière livrée aux plaisirs, au fric et au culte de soi. Soudainement transformé en dirigeant exemplaire à son arrivé au trône, il devenait, d’après l’historien,
un nouveau sujet de crainte pour qui songeait que ces vertus étaient fausses, et que les vices reviendraient.
Heureusement, la réforme Darcos va nous dégager toutes ces vieilleries culturelles merdiques des programmes. Alors, on n’aura plus de références. Alors, on pourra sonder en paix.
LGB vous souhaite vraiment beaucoup de courage à tous.
Notule bibliographique :
Une bonne analyse des discours de N. Sarkozy dans l’ouvrage déjà classique de J. Véronis et de J.-L. Calvet, Les mots de Nicolas Sarkozy, publié au Seuil (une critique ici)