Eric Fottorino est l’auteur de nombreux romans et récits qui traduisent sa quête des origines, comme Korsakov, L’homme qui aimait tout bas et Questions à mon père, parus chez Gallimard. Avec Le marcheur de Fès, il continue d’interroger le thème de la filiation à travers les racines marocaines de son père naturel.
Jacques Moreau (1903-1994), Fez, Bab el Mellah
Extrait Je sais que là, quelque part, dorment Yahia, ton grand-père le Berbère, et son épouse Zohra. Eux aussi je les chercherai. Pour l’instant Albert-Abraham tente de m’instruire sur votre communauté en voie de disparition. Moins de cinquante personnes à présent. Rien que des vieux. « Nous n’avons plus d’enfants », dit-il sans insister. Il sort des feuilles dactylographiées qui tremblent dans le vent. Devant nous l’horizon à perte de vue, les mamelons du Moyens Atlas. La nécropole est le seul lieu du mellah où le jour entre à pleine lumière, ou rien n’entrave la perspective. D'une voix un peu scolaire, le rabbin à barbe blanche laisse tomber des chiffres d’autrefois, quand les Juifs vivants se comptaient plus de vingt mille à Fès. C’était au début du protectorat. Depuis le XVe siècle, le sultan avait voulu le mellah collé à l’enceinte de son palais afin d’assurer la protection des Juifs. S’il tenait à leur proximité, c’était aussi pour solliciter à tout moment leurs médecins réputés infaillibles. Et pour s’assurer la fidélité des artisans de Sion, si habiles pour ciseler l’or, l’argent, le diamant. En transformant les métaux précieux en bijoux rares, ils accomplissaient des prodiges interdits aux Musulmans par le Coran. En ce temps là, les Juifs étaient des dhimmi, des protégés, libres de leur culte, placés sous le regard bienveillant du palais, à condition qu’ils acceptent de porter la calotte noire, d’être assujettis à l’Islam et à l’impôt. Calmann-Lévy