À propos de Sauf les fleurs, de Nicolas Clément
Concentré de violence et de douleur lancinante, ce petit livre relève de l'exorcisme poétique, modulé dans une langue-geste singulière, originale et parfois déroutante, évoquant les douleurs paysannes des Campagnes de Louis Calaferte, ou le film Padre padrone...
"J'écris notre histoire pour oublier que nous n'existons plus", note Marthe en commençant de relater son enfance, et celle de son frère cadet Léonce, pourrie par la violence insensée d'un père mutique et brutal qui bat leur mère sans les ménager non plus, ne prononçant plus leurs prénoms mais se jetant "sur le verbe, phrases courtes sans adjectif, sans complément, seulement des ordres et des martinets".
Marthe, elle, échappe à la vie qui la gèle en cousant pour sa mère et en lisant des histoires à son frère, se rappelant le temps passé où son père était son prince, avant de devenir son "ennemi juré" et de prier chaque soir pour que meure "celui qui frappe sans vergogne et désosse le visage de maman". On n'apprendra rien des motifs de la violence paternelle. On sait que l'âpre terre et ses travaux rendent parfois les coeurs plus durs que la pierre et les humeurs mauvaises, mais ici, de la Marthe de douze à dix-neuf ans, on ne saura que la peine et la haine ravalée d'un père qui jette les livres au feu et déteste les mots appris à l'école - les "phrases à la con".
On murmure, et ce pourrait être une embellie, que "maman a rencontré quelqu'un", puis c'est à Marthe que revient le cadeau d'une rencontre avec l'apparition de Florent, qui va l'aimer et la protéger jusqu'au bout de sa nuit. "Je donnerais toute ma vie pour avoir une vie", avait-elle écrit". Comblée par Florent (elle a seize ans) elle note encore ces drôles de phrases: ""À l'odeur de ses mots fous dans mes cheveux, je sais que Florent a souci du puzzle que je suis, tandis que s'estompe l'image clouée à l'envers de ma boîte. Nés d'un fil entre deux paysages, nous vivons d'une bouchée d'équilibre, notre envol, notre saut attaché".
Puis c'est le drame affreux, la fuite avec Florent et la relance personnelle d'une tragédie dont Marthe connaît les tenants et aboutissants par la passion qu'elle voue à Eschyle et autres Anciens. Enfin le dénouement sera ce qu'il sera, non-dit, accordé à la vie qui continue après que Garonne a vêlé pour donner le jour à une petite Harmonie, et Marthe conclut: "À présent place aux choses, palpez comme tout commence"...
Nicolas Clément, Sauf les fleurs. Editions Buchet-Chastel, 75p.