Game over : la guerre contre la drogue n’a jamais marché. Laissez tomber.

Publié le 09 octobre 2013 par H16

Bon, je fanfaronne, je fanfaronne, mais j’ai mis un peu de temps à me remettre de mon splif bedonnant de dimanche dernier ; mon corps d’athlète (mais si) s’accommode mieux de fins whiskies que de ces douteuses expériences herbacées. Cependant, puisqu’on parle drogue, profitons de quelques liens que me fournit l’actualité, afin d’apporter quelques réflexions intéressantes.

Et justement, puisqu’on parlait whisky — que n’importe quel connaisseur consommera avec modération, hein, bien sûr — une récente étude, parue sur The Lancet, et relayée par The Economist s’est intéressé à la relation entre les dégâts des drogues sur les usagers directement et sur la société en général. Les résultats obtenus par David Nutt et son équipe sont suffisamment intéressants pour que je me reprenne une rasade de cet excellent Dalwhinnie (à votre santé).

Bien évidemment, chacun sera d’accord pour dire que certaines drogues provoquent plus de dégâts que d’autres ; l’héroïne est généralement considérée comme plus dangereuse que le cannabis, par exemple. Et comme les gouvernements adaptent leurs politiques de santé publiques sur (notamment) les dégâts (supposés ou réels) provoqués par les drogues, les résultats obtenus par les recherches de Nutt me laissent un peu perplexe (mais pas assez cependant pour m’empêcher de me reservir un petit coup, slurp).

Évidemment, on ne pourra s’empêcher de pointer le fait que la dangerosité d’une drogue est assez directement liée à sa disponibilité aisée. L’alcool et le tabac étant globalement très disponible, on ne s’étonnera pas de les trouver l’un et l’autre plutôt en haut du tableau. Ce qui me semble plus intéressant que cette corrélation assez évidente (qui n’est d’ailleurs pas une causalité, n’allez pas trop vite en besogne) est le ratio entre les dégâts qu’une drogue provoque sur l’usager comparé à celui sur le reste de la société. Ainsi, l’héroïne, le crack et le tabac se classent facilement en haut de tableau, derrière l’alcool ; or, intuitivement, le tabac et l’alcool sont a priori plus facilement disponibles que le crack et l’héroïne.

Du point de vue des politiques publiques, il semble alors compliqué de justifier l’asymétrie de traitement entre l’alcool et le tabac, en vente libre, ou, a contrario, l’héroïne, la cocaïne ou le crack, pénalisés. J’en vois deux ou trois qui trépignent déjà à l’idée qu’on pourrait mettre sur le même plan héroïne et tabac… Reprenez donc, comme moi, une goulée de cet excellent whisky, pour vous détendre, burp, et lisez la suite.

Ce que semble montrer ce graphique, c’est que la distinction qui a été introduite dans les différentes drogues est relativement artificielle ou, à tout le moins, ne permet pas de justifier logiquement, pragmatiquement, les politiques publiques engagées en plus de façon assez foutraque : d’un côté, on lutte officiellement contre certaines drogues, de l’autre, on envisage des salles de shoot, d’un troisième, on aimerait éviter autant que faire se peut de saboter un secteur économique essentiel (et patrimonial), mais enfin, on se retrouve avec un casse-tête de santé publique ingérable (le pataquès avec les cigarettes électroniques est à mourir de rire à ce sujet, et hat tip à la pauvre Marisol Touraine, jetée dans ce bain avec une bouée Mickey trop petite pour elle).

Et au-delà de ce graphique revient la question lancinante de la lutte permanente, coûteuse et sans résultat des autorités contre les vices des gens : quand finira-t-on par comprendre que lutter contre ces vices n’amène finalement que plus de problèmes au lieu d’en résoudre ? Quand les gouvernements et ceux qui les élisent, obstinément tournés vers une répression qui a déjà montré ses limites, choisiront-ils de porter leurs efforts sur l’encadrement de la consommation, l’accompagnement des drogués pour les aider à se sortir de leurs dépendances et des problèmes psychiques ou psychologiques qui les accompagnent ?

En effet, une récente étude a montré que la répression et l’interdiction ont été particulièrement improductifs ; non seulement, les politiques menées jusqu’à présent dans le domaine de la lutte contre les trafics de drogues ont montré leur inefficacité globale, et ce au point d’épuiser lentement les moyens dont on dispose pour cette lutte, mais – et c’est relativement étonnant – ces politiques n’ont aucune réponse à apporter à la baisse drastique constatée sur les prix de ces drogues, ainsi qu’à leur hausse globale de qualité.

Tout se passe exactement comme si la prohibition d’alcool dans les États-Unis avait provoqué non pas une hausse des prix et l’apparition de distillats frelatés, mais une baisse des prix, une abondance de produits, et une amélioration globale de la qualité… Oui, vous avez bien lu : malgré des dépenses colossales dans la lutte contre la production, le trafic, la vente et la consommation de drogue, malgré des politiques répressives toujours plus sévères et coûteuses, non seulement la consommation n’a pas baissé, la production n’a pas baissé, mais (et c’est parfaitement stupéfiant) les prix observés sont en baisse et la qualité augmente.

Cette étude, réalisée par une équipe canadienne dirigée par le docteur Evan Wood, un professeur de médecine à l’Université de Colombie Britannique au Canada, est disponible ici et quelques articles en parlent déjà dans la presse outre-atlantique mais on attend avec attention ce qui en sortira lorsque la presse européenne et notamment française s’en emparera ; attendez-vous à quelques pignouferies savoureuses – pas autant que mon petit whisky dont je me ressers une petite lichette, parce qu’il ne faut pas se laisser abattre.

Les conclusions du Dr. Wood sont particulièrement explicites :

“By every metric, the war on drugs — which is estimated to have cost North Americans over the last 40 years over a trillion dollars — has really been hugely ineffective. Drugs are more freely and easily available in our society than they’ve ever been.” – Quelle que soit la mesure utilisée, la guerre contre la drogue, dont le coût est estimé à 1000 milliards de dollars en Amérique du Nord sur les 40 dernières années, a été réellement très grossièrement inefficace. Les drogues sont actuellement plus facilement disponibles qu’elles n’ont jamais été dans notre société.

Et en terme de résultats, ils sont difficiles à contester : l’héroïne, la cocaïne, le cannabis ont vu leurs prix chuter de 81, 80 et 86% respectivement, et leur pureté augmenter de 60, 11 et … 161% respectivement (ce qui explique que le splif de dimanche m’a cogné bien plus sévèrement que prévu).

(…)The average inflation-adjusted and purity-adjusted prices of heroin, cocaine and cannabis decreased by 81%, 80% and 86%, respectively, between 1990 and 2007, whereas average purity increased by 60%, 11% and 161%, respectively. Similar trends were observed in Europe, where during the same period the average inflation-adjusted price of opiates and cocaine decreased by 74% and 51%, respectively. In Australia, the average inflation-adjusted price of cocaine decreased 14%, while the inflation-adjusted price of heroin and cannabis both decreased 49% between 2000 and 2010. During this time, seizures of these drugs in major production regions and major domestic markets generally increased.

Heureusement, je vous rassure tout de suite : les producteurs actuels de whiskies modernes vous garantissent une qualité et une pureté constante. L’état, quant à lui, vous assurera par ses taxes toujours plus créatives une hausse constante du prix de ces breuvages délicieux, mais c’est un autre sujet.

Au passage, on notera que cette facilité d’accès aux drogues vient quelque peu mâtiner le commentaire que je faisais sur le graphique précédent : certes, l’héroïne et la coke ne sont pas encore en vente libre comme le sont tabac et alcool, mais on a pu récemment vérifier que cela n’empêche pas franchement les gens de consommer les substances en question, au grand dam de Martine Aubry qui s’était toute fripée en apprenant que Lille, la ville dont elle est maire, est actuellement championne de France de consommation de cocaïne et de cannabis …

Comme on peut le voir avec ces différents éléments, ce que les autorités tiennent pour des vérités absolues, pour des méthodes efficaces et pour des choix de société pertinents … n’en sont pas. Cette société, mal guidée, leurrée même par différents groupes d’intérêts divers, a dépensé des fortunes colossales pour restreindre les libertés des individus, en pure perte.

Pire : en grignotant tant de libertés, en aliénant toujours plus les individus, elle a créé un autre commerce massif de drogues, très lucratif pour certains, et dont les productions sont distribuées dans des quantités affolantes. Pour rappel, la France détient le record mondial de consommation d’antidépresseurs. Ce n’est pas un hasard.

Et bien évidemment, je ne touche pas à ça. Surtout quand je me tape un excellent whisky.

Burp.

Je crois que j’ai un peu trop bu.

Burp.