Entre conte
philosophique, fabliau poétique et relations minutieuses d’un naturaliste,
proches des rêveries zoologiques de Borges, L’Ordre
animal des choses déroule quatorze petits textes à l’écriture élégante et
serrée dont la sensualité est lumineusement rendue par la traduction de Danièle
Robert. Le substrat autobiographique se devine et affleure partout – les
animaux de l’enfance, les fermes et les villes de Toscane, la séparation et les
pertes : « C’était un mai sauvage aussi en ville, avec toutes ces nuées
noires d’oiseaux, assourdissants et joyeux, qui se posaient sur les ramures des
arbres, c’est un chœur d’insultes, lancé sur cet amour qui se termine, ai-je pensé, tandis que je sortais dans la
rue… » Le bonheur immédiat que procure sa lecture dispose à la complicité
et ouvre à l’intelligence d’un livre troublant et grave comme la mélancolie au
charme léopardien qu’il diffuse. L’attention que porte Antonio Prete à l’animal
et à son ordre évoque, y compris dans le calibrage des textes, celle, plus névrotique
sans doute, de Federigo Tozzi* – mais en diffère toutefois par l’épreuve du
sens.
Car ce que restaure par une écoute rilkéenne du monde chacun des textes, c’est « la
langue de la proximité avec la nature, de la non-séparation d’avec elle »,
grâce à une énergie franciscaine puisée dans ce que Prete appelle, dans le deuxième
récit, « le souffle du manque ».
Expérience du vide et de la privation douloureuse, mais aussi constat et amour
du perdu, épreuve de l’avant-être par laquelle la conscience déchirée accède à
la lumière polyphonique du silence de l’origine et à l’indéchiffré de toute
langue.
C’est cet indéchiffré d’avant la langue et pourtant inclus en elle que la
phrase d’Antonio Prete fait venir à l’expression dans une exceptionnelle grâce
d’écriture.
[Gérard Arseguel]
Antonio Prete, L’Ordre animal des choses,
traduit de l’italien par Danièle Robert, les éditions chemin de ronde, coll.
« Stilnovo », 96 pages, 11 €
* Federigo Tozzi, Les Bêtes [Bestie, 1917], traduit de l’italien par Philippe Di Meo, Paris,
Librairie José Corti, « Biophilia », 2012.