Fallait-il interdire le niqab ?
Publié le 9/10/2013
Le niqab est interdit en France depuis maintenant trois ans. Fallait-il l'interdire sachant que tout ce qui ne nuit pas objectivement à autrui devrait être licite ?
Par Fabrice Descamps.
Mon opposition à l'interdiction du niqab est motivée par les mêmes raisons qui m'ont fait approuver le mariage homosexuel : tout ce qui ne nuit pas objectivement à autrui doit être licite.
On pourrait cependant arguer comme suit : à partir d'une certaine masse critique de femmes portant le niqab en France, les musulmanes refusant de le mettre seraient soumises à une pression insidieuse qui limiterait leur liberté de ne pas le porter et donc nuirait à autrui. Je suis sensible à cet argument car je vais maintenant montrer pourquoi la notion de nuisance objective à autrui s'apprécie en fonction du contexte où elle s'inscrit et non de critères intangibles.
Prenons un autre exemple. Il serait a priori odieux de sanctionner l'obésité. Car l'obésité ne nuit à première vue qu'à ceux qui en souffrent. Admettons cependant que, dans un futur hypothétique, nous soyons victimes d'une gigantesque épidémie d'obésité. Les obèses externaliseraient alors le frais des soins qu'il faudrait leur prodiguer en faisant payer à tous les citoyens, obèses ou non, le coût de leur affection par l'intermédiaire de l'assurance-maladie. Donc ils nuiraient bel et bien à autrui et la société, dont les caisses d'assurance-maladie seraient ainsi mises en danger, serait fondée à sanctionner les habitudes alimentaires des obèses. La raison pour laquelle on ne sanctionne pas les obèses à cause de leurs habitudes alimentaires tient ainsi non au fait qu'elles ne nuiraient pas à autrui – puisqu'elles nuisent effectivement aux autres assurés sociaux –, mais à notre libéralité : nous préférons supporter, tant que nous en avons les moyens, cette nuisance légère plutôt que d'imposer une nuisance grave aux obèses.
Nous restons, ce faisant, fidèles aux deux principes de John Stuart Mill : 1) Le principe de non-agression qui stipule que tout ce qui ne nuit pas à autrui doit être autorisé ; 2) Le principe d'efficacité précisant qu'il faut cependant autoriser ce qui nuit à autrui si son interdiction lui nuit encore plus.
Appliquons ces deux mêmes principes au cas du niqab. Tant qu'un certain seuil critique de femmes portant le niqab ne sera pas atteint, seuil à partir duquel il nuira aussi aux femmes qui ne veulent pas le porter, il faut le tolérer. Or, étant donné le nombre dérisoire de femmes qui le mettent dans les pays occidentaux, y compris ceux où il est autorisé, ce seuil n'était pas encore atteint en 2010. Donc nous n'aurions pas dû interdire le niqab à ce moment-là.
Je dois vous avouer que cette conclusion ne me fait pas plaisir car le niqab est vraiment un accoutrement lamentable. Mais la rationalité doit prévaloir sur le sentiment spontané. Pour le moment, le niqab ne nous nuit pas plus objectivement que la corrida, qui m'est tout aussi insupportable. Donc il faut les tolérer.
Connaissant mon opinion au sujet du niqab, un ami m'a posé la question suivante : la nudité publique nuirait-elle objectivement à autrui ? La réponse est claire : non plus. Il est d'ailleurs des époques où la nudité publique ne posait aucun problème. Si je suis vraiment rationnel, alors la nudité publique doit m'être indifférente (compte non tenu, évidemment, de ses conséquences hygiéniques). La nudité publique des Amazoniens et des Papous ne me choque pas. Cependant, nous vivons dans une société où elle est culturellement peu acceptée, sauf dans des zones bien délimitées comme les plages nudistes. Et sans tomber dans un conservatisme étroit, on peut comprendre aisément que les gens tiennent à ce qu'on respecte la pudeur qui est de mise dans leur culture, même si cette pudeur n'a aucun fondement rationnel.
C'est pourquoi j'affirme aussi que je n'apprécie guère les salafistes car, outre le caractère liberticide de leurs opinions, ils n'ont aucun respect pour la culture des pays qui les accueillent. Or, dans ces pays, il est de bon ton de pouvoir contempler le visage de ceux que l'on a en face de soi.
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