On a tous en tête l'image des prés avec ses vaches "rouges et blanches" ... J'aurais d'ailleurs bien voulu en photographier quelques-unes, mais je n'en ai pas vu. Non pas qu'elles aient déserté la région, l'explication est très simple : les haies sont si hautes et si épaisses qu'on ne voit rien à travers ses paravents naturels.
J'ai juste aperçu un troupeau, mais de moutons, traverser une petite route. La race normande donne un lait particulier qui entre dans le cahier des charges des AOC fromagères. Il est aussi employé pour réaliser un dessert très particulier, très "local", au nom mystérieux de teurgoule.
Le mot est originaire du patois normand où la goule signifie la bouche et où le préfixe "teur" est une déformation du verbe se tordre, parce que les ancêtres dégustaient ce dessert à sa sortie du four et grimaçaient en avalant des cuillerées brûlantes.
On trouve cette spécialité de Honfleur à Bayeux alors que dans l'Orne et la Mayenne c'était davantage de châtaignes dont les gens pauvres se nourrissaient dès l'automne.C'est dans son exploitation agricole que Jean Sablery surveille la fabrication de la teurgoule. La recette est simple : du riz, du sucre et le bon lait des vaches normandes du Pays d'Auge. Un lait qui n'a pas été écrémé et qui se trouve on ne peut plus "naturel".
Car c'est bien parce qu'il élève des vaches laitières que Jean Sablery s'est lancé dans le culinaire. Depuis son installation en 1974 il a commencé par décliner les transformations classiques du lait : lait cru, crème crue, yaourts.
Ses yaourts étaient fabriqués dans des pots en verre. Pour en faire de grandes séries il eut recours à ce qu'il appelle les moyens du bord : un vieux frigo, des casseroles et de l'eau chaude. Le succès fut immédiat mais il aurait fallu investir beaucoup pour assurer du volume. Puis sont arrivés sur le marché des laits longue conservation qui ont modifié la donne.
C'est alors qu'il a songé à réhabiliter cette recette traditionnelle qui remonte au XVIIe siècle. Du riz, du lait, de la cannelle et puis du sucre qui vont cuire pendant plusieurs heures à feu très doux dans un four, jusqu'à ce que se forme la croûte ondulée si caractéristique que l'on voit sur le dessus. Le riz venait des îles d'où il était acheminé par bateaux. Un riz rond qui était propice à ce type de cuisson, très longue, initialement dans le four du boulanger. Avec pour aromatiser la cannelle qui avait peut-être voyagé dans le même bateau. Et la volonté d'un Surintendant du royaume d'éviter la menace d'une disette avec ce plat nourrissant.Il fabrique 1000 à 1500 petits seaux par jour, dans un format familial. La teurgoule est cuite dans un contenant aseptisé pendant 7 à 8 heures, ce qui assure une parfaite tranquillité sanitaire. Bien entendu la fabrication se dispense de conservateur, en conformité avec la législation. Et pourtant la cuisson, proche de la stérilisation, permet une période de consommation optimale de 28 jours. Et s'il a essayé plusieurs process il n'a jamais employé d'additifs.Les trois recettes ont été conçues en même temps. La version à la vanille est généreuse en vanille. Chaque pot contient une demi-gousse fendue que le consommateur trouvera facilement. Quelle que soit la recette le riz est toujours fondant et le sucre n'est pas trop présent. J'apprécie dès le petit déjeuner la déclinaison au caramel. Les sportifs de haut niveau également qui trouvent cela plus savoureux que les plats de pâtes que leurs coachs leur préconisent.Il n'en demeure pas moins vrai que, dans la région, les normands n'envisagent pas d'autre teurgoule que celle qui est parfumée à la cannelle et que l'on peut trouver aussi en boulangerie. Comme c'est un produit de qualité, Jean Sablery n'y voit pas de "mauvaise" concurrence alors qu'un autre fabricant emploie des brisures de riz pour cuire plus vite tout en garantissant du moelleux à un prix économique.
Ce genre de pratique le met en colère. Comme l'emploi des protéines de lait dans les mousses au chocolat et demain l'arrivée des insectes ... Alors que rien n'est meilleur que le naturel. Son troupeau de 80 vaches est nourri avec du foin et des betteraves en hiver.Il peut s'enorgueillir de proposer un produit patrimonial, sain, sécurisant sur le plan sanitaire et économique. Quand on aime, c'est pour longtemps. Jean Sablery se souvient d'une cliente, âgée, habitant le sud de la France et loin d'un distributeur, ayant réclamé une livraison particulière. Il lui envoyait régulièrement de la teurgoule au caramel, par carton de 6 pots. Elle affirmait que son organisme ne pouvait se nourrir que de cela sans être malade.
Certains l'aiment froide, d'autres tiède. Personnellement j'aime l'associer à des fruit au sirop.
Jacques Sablery - Ferme des Mondeaux - 14340 Cambremer.
Téléphone : 02 31 63 06 37
Site de l'exploitation http://www.la-teurgoule-de-cambremer.com
La région a créé le label Gourmandie qui fête cette année le 26 septembre son dixième anniversaire. Ses boissons seront à la place d'honneur à coté de ses fromages.Autres articles consacrés à la Normandie : visite de la fromagerie Graindorge pour le Pont l'Evêque et le LivarotLes chais de Père MagloireLa distillerie BoulardLe festival des AOC-AOP de CambremerLa Normandie est aussi le pays du CidreDes chambres d'hôtes en Normandie
Merci à Eliott pour ses photos complémentaires.