On s’empare de l’objet de ses désirs, un jeans, noir, taille 38, se précipite vers les cabines pour l’épreuve de vérité, l’essayage. On prend place dans la file, patiente, la trouille au ventre, n’y laissant rien paraître, et si, si on n’y entrait pas, pas une fesse, pas une cuisse, que le bidon s’oppose à la remontée de la fermeture …
C’est donc tout sourire, totalement de façade, de ceux de celles qui en ont vu d’autres que finalement on fait face à la vendeuse qui en parfait automate demande "combien de pièces ? ". Une. Une, une qui passe ou qui casse, une qui sous peu va asséner sa sentence sans appel.
On cherche la cabine vide, en découvre plusieurs (pourquoi cette putain inutile attente ?), cherche celle aux patères complètes qui ne vont pas faire choir nos vêtements et notre patience. On tire le rideau et pénètre l’antre de la vérité … qui sent des pieds … pas les siens, les siens ne sentent rien, les siens sont ceux d’une princesse, ils sentent la rose, ou le talc, cela dépend. Bref, ça pue. Grave.
On pince les narines, pose son sac. Oui mais où, pas de siège, pas de tabouret, reste le sol, et écarter les moutons, l’agent de service est discrète, respecte notre intimité … même après la fermeture de la boutique … se déshabille, se détourne de la paroi qui nous fait face, évitant le miroir du regard qui ne peut que nous faire face. On est là pour se faire du bien, pour passer un test pas un examen ! On se faufile dans le futal, enfin se contorsionne, déjouant les difficultés, étiquettes, alarmes, le Tee qui tire-bouchonne, le sautoir qui se coince dans la glissière, et enfin lève la tête dans un roulement de tambour …
…
Point de glace. Pour éviter les vols ? Les heures de ménage ? Ou pour nous obliger à affronter notre peur du ridicule ?!?
Bon gré mal gré, à contre-cœur on prend l’élan et surgit hors de notre cocon … pieds nus … sautoir dans le dos pour rejoindre le poulailler. Et oui, ça piaille "maman qu’est-ce que t’en pense", "Co’ vas voir si y’a pas plus grand", "tu trouves pas que ça me boudine ?", "vas me trouver un petit haut qui va avec". Et ça vous bouscule, et ça vous tourne-boule, et ça ne vous voit pas. On patiente, on est patiente, mais pas trop, au bout de quelques minutes c’est en mégère qui joue du coude, assénant d’hypocrites pardons qui n’attendent nulle réponse. Enfin on y est, une dinde à votre droite, une pintade à gauche, enfin on y est et voit la braguette … baissée … et le string rouge apparent … Les cuisses, les hanches demeurent dissimulées par celles des voisines couvertes de volants. Au bord de l’apoplexie, la bave aux lèvres, on décide de ne pas se laisser faire, de prendre
tout
notre
temps
…
Et de tester, discrètement que le miroir ne ment pas. La main à l’horizontale, puis à la verticale. Et de recommencer … sait-on jamais.
Puis, len-te-ment, on se dégage, de cette situation embarrassante, se prend quelques coups de coudes, garde le sourire, regagne la cabine, tire le rideau … et respire … et réfléchie. Prendra, prendra pas. Se dévêtit, raccroche le pantalon sur son cintre, vérifie le prix, l’argument décisif, et puis la taille, et si c’était un 40 ? On pense à s’assoir, mais où avait-on la tête. On se rhabille, rajuste sa tenue, sa coiffure au jugé, accroche son sac à l’épaule, et sort son jeans à la main, réfléchir encore et encore en parcourant et reconquérant son anonymat dans le dédale des rayons …
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