(G.O.O.D. Music/Def Jam)
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La carrière de Pusha T est à un tournant aussi important qu’imprévu il y a encore 4 ans. A l’époque, Pusha sortait un troisième album sous la bannière Clipse avec son frère Malice, duo majeur de la décennie des 2000′s souvent associé à un autre duo de légende qui s’occupait de la production de leurs disques, The Neptunes. Aujourd’hui, l’ainé des Thornton est en passe de faire son trou sous son seul blaze et d’aller chercher un public moins pointu qui ne connaît pas forcément son passé. Tout ceci grâce au bon vouloir de Kanye West, son boss sous G.O.O.D. Music, qui l’a enrôlé pour faire de lui sa caution « credibility rap », c’est à dire un mec au parcours impeccable loin du grand mainstream que l’on met dans la lumière comme il l’avait fait au milieu des 2000′s avec Common.
Et le défi est exactement le même qu’avec le barbu au béret: toucher un maximum de gens sans perdre la fanbase.
L’avantage principal pour Pusha T réside d’ailleurs dans son passé. Lorsque tu évolues avec Pharrell Williams en architecte de ta musique pendant des années, tu as déjà des prédispositions à faire dans le tube et la rotation radio. Même pas besoin d’aller se prostituer sur de l’électro ou du dubstep en invitant un mec de mauvais augure, suffit de maitriser l’exercice en se basant sur ses acquis. Un Numbers on the Boards ou un Sweet Serenade, même avec ce cancer de Chris Brown, remplissent parfaitement leur tâche, le premier pour la partie rap de l’iceberg, le second pour le crossover avec refrain R&B (et encore).
Dans les deux cas on retrouve le minimalisme qui faisait la force et le succès des Clipse et Pusha T peut dérouler son flow chewing-gum tout en douceur. Les choses se font plus que bien.
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Pusha T – Numbers on the Boards
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Évidemment, personne ne va apprendre comment faire un album à Terrence. Preuve que le mec est un taulier et l’une des pièces maitresses du navire G.O.O.D. Music, il compte sept productions ou coproductions du patron Yeezy. Qui d’autres sur le label peut s’en targuer ?
D’ailleurs il faut reconnaitre que Kanye a bien fait les choses, proposant des instrus parfaitement dans l’esprit quelque peu tribal qui colle au style de Pusha T tout en restant dans son kif du moment (basse qui sature, esprit rock sale, électronique). Ce qui donne lieu à de très bons titres comme le violent Who I Am en compagnie de 2 Chainz et Big Sean ou l’intelligent mélange rap/R&B Pain feautring Future et même à des grands moments de rap sur Nosetalgia avec Kendrick Lamar.
Mais là où l’on touche vraiment les nuages, c’est lorsque Pusha rappelle la meute à l’ancienne. C’est à dire lorsque Pharrell produit ou s’invite sur un refrain. C’est le cas sur Suicide et sa production improbable mais qui met des tartes dans la nuque. Là, Pusha T casse des bouches à n’importe qui et personne n’est meilleur que lui dans ce genre. L’occasion aussi de voir apparaître le poto Ab-Liva pour un petit couplet à la bien.
On retrouve aussi le duo Pharrell & Chad aux manettes pour le morceau final qui clôt parfaitement le disque avec son air à la limite de la marche militaire. Oui, quand Pharrell et Kanye s’occupent d’ambiancer ton album, c’est tout de suite plus facile pour assurer derrière.
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Pusha T – Nosetalgia (feat. Kendrick Lamar)
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Pusha T – Suicide (feat. AB Liva)
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Si les fans de la première heure seront rassurés et sans doute satisfaits par la majorité des titres, l’autre moitié du défi n’est malheureusement pas réussi. Lorsque Pusha T s’éloigne un peu trop de ce qu’il maitrise, on perd clairement le fil. Hold On et l’ambiance fragile à la Kanye (insupportable au passage avec ses gémissements sous vocoder tout du long du titre) ne nous convainc pas, tout comme le titre à l’étiquette R&B 40 Acres, avec The-Dream (qui lui produit deux titres dont celui-ci), carrément raté. Premièrement, tu n’accrocheras pas forcément un nouveau public avec ce genre de choses, deuxièmement, tu ne satisferas pas tes fans avec ce genre de choses.
Pas plus indispensable, il y a aussi No Regrets malgré une production pas forcément dégueulasse de Hudson Mohawke mais le titre ne décolle jamais totalement et le refrain de Kevin Cossom, c’est non merci. Et sur 12 titres, en voulant proposer un disque super solide, tu ne peux pas te permettre d’en avoir 3 ou 4 qui te foire le reste.
Pourtant, Pusha T pourrait vraisemblablement réussir dans ce genre d’exercice, à condition de se montrer original et ceci sans forcément sortir de son schéma habituel. Par exemple le titre avec Kelly Rowland, Let Me Love (l’autre de The-Dream), est assez intéressant, pas désagréable à entendre et ne casse pas la dynamique de l’opus comme peuvent le faire les titres sus-cités juste au-dessus. Pareil pour Pain et Sweet Serenade qui s’inscrivent dans cette ambition d’ouverture et qui parviennent tout de même à rester crédible parce que dans l’ADN de Thornton.
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Pusha T – Pain (feat. Future)
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Pour le reste – comprendre la performance au micro -, il n’y pas grand chose à redire. Pusha T fait parti des valeurs sûres du rap game. Pas forcément un technicien génial, pas forcément une plume irréprochable mais une présence et un style qui font le travail sans forcer et permettent d’installer cette fausse nonchalance que l’on aime tant chez lui.
Pareil pour le très large casting d’invités (seul les deux premiers titres se font en solo), on est face à la crème de ce qui se fait aujourd’hui. Un Rick Ross classique, un Kendrick Lamar incisif pour un sacré ping-pong de MC, Jeezy parfait dans son rôle de désinvolte, AB-Liva en frolo de longue date, 2 Chainz et Big Sean à leur niveau habituel. Dans la case refrain on a du sérieux également avec Pharrell à la cool, Kelly Rowland en caution sexy et même Chris Brown fait le taf. Seul Kanye West en invité non crédité mais plus que visible sur Hold On vient donner dans la prestation moisie.
Quand tu es bon rappeur, que tu t’entoures de deux des meilleurs faiseurs de sons depuis des années, que tes invités prestigieux font le travail, on peut difficilement faire dans le mauvais. Pusha T parvient donc à livrer du très très solide pour un premier album solo et sera sans doute récompensé commercialement. Mais son statut particulier de vieux routard du rap fait que l’on a certaines attentes et qu’il n’a pas forcément répondu à toutes. Qu’importe, ce My Name is My Name s’inscrit dans les meilleures sorties rap de l’année et est une très réussie carte postale de ce qu’est le rap plus ou moins mainstream aujourd’hui.
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Tracklist: 1. King Push 3:03
2. Numbers on the Boards 2:43
3. Sweet Serenade (feat. Chris Brown) 3:39
4. Hold On (feat. Rick Ross & Kanye West) 4:44
5. Suicide (feat. AB-Liva) 3:42
6. 40 Acres (feat. The-Dream) 4:40
7. No Regrets (feat. Jeezy & Kevin Cossom) 4:47
8. Let Me Love (feat. Kelly Rowland) 3:43
9. Who I Am (feat. 2 Chainz & Big Sean) 3:42
10. Nosetalgia (feat. Kendrick Lamar) 3:37
11. Pain (feat. Future) 4:11
12. S.N.I.T.C.H (feat. Pharrell Williams) 4:02
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