La normalitude se voulait une philosophie. Elle n’a pas résisté à la dureté des temps. Elle demeure cependant le leitmotiv qui clôt le discours des présentateurs télévisuels des prédictions météorologiques. Que le vacancier se rôtisse trop fort sur les plages, que la neige tombe trop dru sur les stations de ski, que le vent de bise survole notre bel hexagone avec des allures de tempêtes, que la pluie gonfle les cours d’eaux au point d’inonder villes et vallées, et ils rappellent aussitôt que la "normale" est dépassée. Et ils ajoutent, en prime, la précision indispensable de la date du dernier dépassement. En réalité, ces dérèglements climatiques deviennent eux-mêmes la nouvelle normalitude. Or, non seulement ils perturbent la fragile organisation de nos cités, mais ils déséquilibrent aussi le moral de leurs habitants. Les pluies engendrent la grogne des concierges, la morosité des vendeurs de maillots de bain et la dépression des serveurs en terrasse. Les chaleurs torrides génèrent l’asthénie des vendeurs de grogs, l’abattement des marchands de parapluie et la mélancolie des grenouilles de bénitier. En un mot, les dérèglements conduisent au désordre. Bientôt le plus paisible citoyen deviendra acariâtre ; le revêche atrabilaire. On verra la chienlit se répandre dans les rues et la criminalité augmenter. Le bourgeois de la classe dite moyenne se barricadera dans son pavillon de banlieue comme dans un château-fort. Les garçons-coiffeurs défileront entre Bastille et Nation en scandant des slogans hostiles. Les pauvres eux-mêmes, n’ayant plus de miettes à se partager, se révolteront. En outre, les inondations catastrophiques ou les canicules infernales génèreront immanquablement des disettes et des famines. Fauchon ne sera plus approvisionné en foie gras. Guy Hermet déposera le bilan faute de chocolat suisse. Alain Ducasse quittera le Meurisse faute de girolles pour ses fricassées. Les communautés hier soudées exploseront en mille clans concurrents pour la conquête de la nourriture et le contrôle de l’eau. Les conflits se multiplieront. Les guerres civiles éclateront. Les coups d’état briseront les derniers remparts de la loi. La civilisation reculera. On n’écoutera plus la cinquième symphonie de Beethoven ni Roberto Alagna dans le Trouvère de Verdi ni même Arielle Dombasle dans l’Ave Maria. On ne lira plus Michel Houellebecq ni Marc Levy et plus du tout Philippe Sollers. Michel Onfray lui-même peinera à se faire entendre sur les plateaux de télévision. La civilisation s’effondrera. La sauvagerie reprendra possession des rues. L’apocalypse nous guette. Le monde rural sera-t-il épargné ou pourra-t-il rester le dernier refuge contre la barbarie ? On voit combien l’avenir du monde est incertain et sa rotation sur lui-même gravement compromise.
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