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Une logique de complications - Carlos Busqued - Bajo este sol tremendo (Anagrama, 2009) par Antonio Werli

Par Fric Frac Club
Une logique de complications - Carlos Busqued - Bajo este sol tremendo (Anagrama, 2009) par Antonio Werli Tu démarres un livre, quelques pages, pas plus et tu te dis : allez coco, ça va être un bon petit polar, juste ce qu'il faut pour prendre du bon temps. Ça n'a pas l'air de casser trois pattes à un canard… Mais illico, à peine quelques chapitres plus loin, c'est-à-dire à peine quelques pages vu qu'ils sont tous très courts, tu saisis que ce que tu prenais pour le démarrage d'une intrigue policière ficelée emballée livrée n'est qu'un faux-semblant, une chausse-trape, qui risque de t'emmener précisément là où tu ne t'y attends pas, et certainement pas dans un cluedo à trois personnages et deux cadavres. Une logique de complications - Carlos Busqued - Bajo este sol tremendo (Anagrama, 2009) par Antonio Werli 180 pages et une quarantaine de chapitres tendus, vifs : autant de scènes d'un tableau qui forment le portrait d'une société vile et violente, où les personnages, désenchantés et amoraux, apparaissent comme n'étant jamais complètement maître de leurs actes. Car c'est sans compter la Nature (avec son N majuscule, oui monsieur), sauvage et monstrueuse, qui appose son sceau sur chaque chose, et pas simplement parce qu'elle se trouve insinuée tout au long du roman, s'incarnant dans une végétation luxuriante et des animaux hors du commun : éléphants, calamars, insectes géants, zébus, chiens cannibales, mais parce qu'elle anime, exacerbe toute chose d'instincts et de pulsions sempiternellement plus forts que la raison. Au fait, Carlos Busqued est argentin. Et l'Argentine qui donne son cadre au livre n'est ni celle citadine de Buenos Aires, ni celle folklorique de la Pampa. C'est la province du Chaco dans le nord de l'Argentine qui sert de cadre au roman. Et là-bas, le climat ne fait pas dans la demi-mesure. En fait, il déteint sacrément sur la population… Le point de départ : Javier Citarti reçoit un appel d'un certain Duarte, « exécuteur testamentaire » d'un ancien collègue militaire, Daniel Molina. Celui-ci vient tout juste d'assassiner la mère et le frère de Citarti avant de se donner la mort, à Lapachito, le trou du cul du monde pour ainsi dire. Citarti n'avait de nouvelles de sa mère, ni de son frère depuis longtemps. De fait, à peine surpris par la situation tragico-ubuesque, Javier Citarti file rencontrer Duarte pour s'occuper de la paperasse. Il découvre alors une ville glauque, étrange : la région assez sauvage, presque tropicale du Chaco ; les animaux et les insectes bizarres ; un endroit marécageux, empoisonné. Il y règne une ambiance dérangeante de Quatrième Dimension. Citarti, aussi mal à l'aise que le lecteur, a du mal à faire confiance à Duarte dont les manières et le parler ne s'encombrant d'aucune éducation semblent effrayer jusqu'aux cafards. Mais autour d'un bon joint, il est possible de résoudre les plus épineux problèmes, et même de signer pour les plus belles embrouilles… ou comment se faire un peu de fric sur le dos des deux cadavres de la parentèle. Ce sont à peine les vingts premières pages, et Citarti, pourtant malin de prime abord, apparaît déjà comme le plus superbe spécimen blasé de looser intégral, et Duarte, le plus grand beauf enfoiré de première que tu as trouvé sur ton chemin. Deux perles nourris à la culture de masse (des chaînes du câble en passant par le Reader's Digest et les VHS porno) qui ne sont pourtant pas foncièrement des abrutis. Tu comprends alors assez vite que les morts du début ne sont, au sens littéral, qu'un prétexte pour l'auteur afin d'entrer dans le vif du sujet : peindre très précisément la bêtise contemporaine et quotidienne du genre humain. Parler du reste de l'intrique ? Certainement pas. Le suspens reste le moteur du récit et le plus idiot serait d'en dévoiler les péripéties. Jusqu'à la fin, jusqu'aux dernières pages, tu restes happé par la tension et l'escalade de violence (de mœurs et de gestes) que Carlos Busqued distille dans ses pages, mais celles-ci ne proviennent pas de l'intrigue à proprement parler. Busqued ne fait pas de psychologie, de fait, encore moins de « morale » avec ses personnages, déplaçant ainsi les attentes du lecteur : l'intrigue finit presque par ne plus compter ou à peine, tu ne te demandes pas comment vont se résoudre les choses, mais plutôt, jusqu'où peuvent-elles mener. Elle ne fait pas les personnages, ce sont les personnages qui la font. Disons en fait qu'ils forment l'intrigue, l'intrication : ils vivent dans une logique de complications. Ces situations constamment excessives et ce détachement psychologique, appuyé par des dialogues vifs – et la verve franchement vulgaire de Duarte est un morceau de bravoure en soi –, sont aussi la source d'un humour noir et brutal jaillissant de ce roman contondant, à la limite de l'horreur crue du réel. Au fait, Carlos Busqued a été finaliste du prix Anagrama en 2008 (l'année de Casi Nunca), et se trouve en librairies début 2009. La critique a évoqué l'ambiance des films des frères Coen. Tu pourrais même penser à un curieux croisement entre McCarthy, Castellanos Moya et Houellebecq, mais ce serait sérieusement commencer à parler pour rien dire. Premier roman de l'auteur qui était arrivé comme une bombe, il a depuis été traduit aux Etats-Unis, en Allemagne et en Italie. Et toujours pas en français. Allons, un petit effort mes amis, ça fait pratiquement cinq ans ! illustration : vintage circus elephant trick

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