Mai 2013 – Les marchés craignent que la Banque centrale américaine mette un terme, d’ici à quelques semaines, à l’injection massive de liquidités dans l’économie… Les capitaux commencent à quitter les pays émergents… Les monnaies de ces mêmes pays se déprécient…
21 août 2013 – Compte-rendu de la réunion du comité de politique monétaire de la Réserve fédérale (Fed). La dépréciation des monnaies de pays tels que l’Inde, le Brésil, la Russie, la Turquie, etc. se poursuit…
18 septembre 2013 – La Banque centrale américaine maintient son dispositif de reprise économique consistant à acheter, chaque mois, $85 milliards de bons du Trésor et de titres hypothécaires. Les pays émergents soufflent…
Jean qui rit, Jean qui pleure… Le proverbe résume à lui-seul la situation incertaine que connaissent aujourd’hui les pays émergents les plus sensibles à un arrêt brutal des flux de capitaux. Les sorties de capitaux et la dépréciation des monnaies enregistrées depuis mai 2013 ont eu raison de la résilience, du moins, affichée de plusieurs pays émergents. De fait, ces cinq derniers mois nous révèlent que les évolutions de ces économies vont se révéler probablement plus erratiques à l’avenir, traduisant, plus étroitement, la réalité et la spécificité des parcours émergents et pré-émergents.
Mais il ne faut pas se tromper. Les pays émergents demeurent les locomotives de la croissance mondiale, quand bien même les pays de l’OCDE affichent de moins mauvais résultats. En Europe, on aurait tort d’ignorer les dynamiques sectorielles que l’on observe dans un pays comme la Turquie. De fait, la CCI Paris Ile-de-France vient de publier un ouvrage intitulé Turquie – L’Émergent à la portée des entreprises françaises qui fait un pari prospectif sur ce marché qui a déjà intégré le club des vingt premières puissances mondiales. Ainsi, « Istanbul est la nouvelle Barcelone de la Méditerranée. La Turquie n’a plus cette image de « pays atelier bon marché » : grâce au design, à la mode et à son don pour faire la fête, Istanbul s’impose comme un nouvel eldorado de style« , souligne le Directeur d’Ubifrance Turquie, Éric Fajole (Le Figaro, Supplément week-end, 13-14 sept. 2013).
Pour autant, la Turquie tout comme les autres pays émergents ne sont pas dans un processus de rattrapage économique des pays occidentaux ; ils sont dans leur propre trajectoire ainsi que le mettent en exergue les travaux sur l’émergence industrielle de l’économiste Joël Ruet. Certains observateurs vont même plus loin en estimant que c’est la projection d’un sentiment de supériorité des pays occidentaux qui les conduit à diagnostiquer un accident de parcours des pays émergents dans le processus de rattrapage.
Oui, la panne des pays émergents est réelle mais elle est le propre de ceux qui avancent en doutant, de ceux qui se construisent en cherchant de nouveaux modèles. Un éventuel déclin des pays émergents n’aurait d’autre effet que d’aggraver la situation des pays occidentaux tant nos trajectoires, pour spécifiques et différenciées qu’elles soient, sont interdépendantes.
Pour reprendre l’exemple de la Turquie en proie à un fort endettement et un déficit commercial élevé, force est de constater que ce pays n’échappe pas à cette logique. Certes, sa dépendance au marché européen n’a d’égal que l’engagement continu de ses décideurs politiques en faveur de l’adhésion à l’Union européenne. Mais le pays a aussi aujourd’hui sa propre dynamique avec des niveaux de consommation privée et publique en croissance et une forte augmentation des investissements publics. Un éco-système se crée, avec ses spécificités, qui ne souffre pas une analyse comparative par des clefs de lecture occidentales. Plus largement, la vision à long terme du pays que promeuvent les autorités à travers l’Initiative Turquie 2023 visant à porter le PIB à $2000 milliards en 2023 constitue un cap très fort pour le pays au-delà des vicissitudes politiques et des difficultés financières que celui-ci connaît depuis quelques semaines.
Alors oui, les pays émergents restent dépendants des politiques monétaires américaine et, dans une moindre mesure européenne ou japonaise, et vont connaître un retour de cycle qui ne justifie pas pour autant un désengagement de ces marchés en croissance. Cela montre simplement que les entreprises doivent démarcher ces marchés avec une vraie stratégie et qu’il faut avoir des bases solides. L’économie mondiale marche maintenant sur deux pieds, quand ce n’est pas quatre ! Ce n’est pas parce que « le vase se vide un peu » dans les pays émergents qu’ »il va se remplir » dans les pays dits matures…