Ouvrage initialement paru en 1934 sous le titre La Révolution sexuelle et la camaraderie amoureuse aux éditions Critique et Raison, Paris.
Extrait :
1. – Jusqu’à neuf heures et quart, l’être avec lequel vous aviez depuis si longtemps cohabité était doué de toutes sortes d’attributs et de qualités morales sans rivales ; c’était, à vous entendre, l’incarnation d’un idéal, presque un ange descendu du ciel et envoyé du ciel pour vous tenir compagnie et rendre votre existence terrestre supportable. À 9 h 20, vous apprenez que cet être unique, extraordinaire, perfection des perfections, a couché avec quelqu’un d’autre que vous – hier, ou la semaine dernière, ou dans le mois écoulé, ou il y a six mois ou un an peut-être. À 9 h 25 – il faut bien cinq minutes pour vous ressaisir –, cette perfection des perfections s’est transformée en monstre le plus répugnant que la terre ait jamais porté, sa présence vous est devenue tout à coup odieuse et vous ne voyez d’autre ressource, pour contrebalancer cette nouvelle, que de quitter à jamais le toit sous lequel vous avez vécu ensemble tant d’heures de joie et surtout d’affliction…
Je ne sais pas sur quelles raisons d’ordre moral – laïques, juridiques ou religieuses – vous vous basez mais, quant à moi, je vous déclare franchement que je ne puis concevoir votre conduite autrement que dictée par trois mobiles : l’ignorance, la méchanceté ou la démence.
2. – Il ne s’agit pas de demander si la pratique de l’amour libre a donné, lorsque réalisée en des natures impréparées ou inaptes, de mauvais résultats. Il ne s’agit pas de poser la variabilité amoureuse comme un facteur d’évolution du fait sexuel. Il ne s’agit pas de se demander si la monogamie ou la monoandrie est un préjugé, si la polygamie ou la polyandrie est une aberration. Nous posons la question de la liberté sexuelle comme nous posons la question de la liberté intellectuelle ou scientifique, la question de la liberté d’opiner, de se réunir ou de s’associer. Et c’est dans un esprit semblable que le problème doit être résolu. Faire une exception pour l’activité amoureuse, revendiquer, sauf dans ce domaine, la faculté pour chacun de se déterminer selon ses aspirations et ses goûts, c’est faire montre d’un illogisme indéfendable.
3. – Loin de moi la pensée de préconiser une détermination unilatérale de la vie sexuelle, de présenter comme meilleure ou supérieure à sa voisine la monoandrie, la monogamie, la polyandrie, la polygénie, la communauté ou la promiscuité sexuelles. Je revendique, pour n’importe laquelle des formes de l’activité sexuelle, de la vie amoureuse, pleine liberté, pleine possibilité d’exposition, de proposition, d’expérimentation. Il s’agit, en outre, de dégager du blâme qui y est souvent attaché les formes de réalisations sexuelles qui se perpétuent à la dérobée et qui n’ont contre elles, après tout, que les foudres dont les frappent la religion, les préjugés ou la loi.