Le cas du Rwanda constitue un exemple des plus intéressants pour l’étude du capital social. Il y a près de vingt ans, le génocide au Rwanda choquait le monde : près d’un million de Tutsis et de Hutus modérés étaient massacrés, laissant d’innombrables vies brisées. Si le Rwanda connaît depuis quelques années une croissance économique soutenue, les problèmes de pauvreté et de confiance demeurent. Plus d’un tiers des Rwandais ont faim et plus de la moitié de la population rurale vit en dessous du seuil de pauvreté. Parallèlement, un sondage réalisé par l’Institut National de la Statistique du Rwanda indique que, bien que beaucoup de Rwandais interagissent ou coopérerent, la majorité d’entre eux n’ont pas confiance en les autres.
De toute évidence, afin de réduire la pauvreté, le gouvernement rwandais peut continuer à réduire la paperasserie et la bureaucratie auxquelles font face les entreprises. En revanche, les réformes politiques qui induisent la confiance et augmentent le capital social sont moins simple. Quelles politiques guérissent les problèmes du capital social ? Une récente publication dans le Journal of Business Venturing rappellent comment les problèmes économiques et sociaux sont profondément interdépendants. De même, les solutions à ces problèmes sont aussi interdépendantes. Réformer à la fois la propriété et l’environnement d’affaires peut non seulement contribuer à la croissance des marchés, mais aussi à celle du capital social.
Propriété et capital social
Les lois qui définissent clairement et font respecter les droits de propriété privés peuvent jouer un rôle dans la promotion de la paix. Des droits de propriété légitimes mieux définis et mieux protégés signifient moins de conflits fonciers ; moins de conflits fonciers signifient davantage d’interaction pacifique et d’échanges entre les individus. Les droits de propriété sur la terre au Rwanda ont été un problème par le passé. Par exemple, juste après l’indépendance du Rwanda en 1962, l’État a pris le contrôle de tout le pays. De nombreuses autres politiques gravement porté atteinte à la propriété de la terre. À une certaine période, les agriculteurs rwandais n’étaient même pas autorisés à se déplacer dans les villes. Ces politiques combinées avec la croissance démographique ont créé une demande anormalement forte de terres agricoles. Le conflit foncier résultant de ces politiques publiques malavisées a nourri les tensions ethniques.
Le Rwanda n’est pas le seul cas où une mauvaise politique foncière a conduit à des conflits : l’Inde a également souffert d’un manque de droits de propriété. Tout comme le Rwanda, de nombreux meurtres et affaires judiciaires y sont liés à des conflits fonciers. La situation de l’Inde s’améliore grâce, par exemple, aux efforts du Liberty Institute pour aider les Indiens à obtenir des titres de propriété sécurisés. Les histoires du Rwanda et de l’Inde montrent comment une faiblesse des droits de propriété augmente les conflits, avec comme dommage collatéral, un faible capital social.
Voilà qui cadre avec la thèse de Francis Fukuyama selon qui l’État peut aider à créer l’environnement propice à la croissance du capital social, comme par exemple en protégeant les droits de propriété. Cela permet une plus grande interaction entre les individus, facilitant aussi le développement du capital social à travers des normes évoluées et la confiance. En outre, les droits de propriété clarifient les frontières par le droit plutôt que par le conflit ou la violence. Le Rwanda a fait des progrès remarquables en matière de liberté de la propriété selon l’indice de la liberté économique de la Heritage Foundation. Il reste cependant juste en dessous de la moyenne mondiale, ce qui indique qu’il y a encore de la marge pour une amélioration.
Le doux commerce
D’autres recherches montrent que davantage d’affaires ou de commerce conduira à une accroissement du capital social. Cela donne à penser que si un État veut augmenter le capital social, les responsables doivent mettre en œuvre des réformes commerciales libérales telles que la réduction de la réglementation.
L’étude approfondie Karol Boudreaux et Jutta Tobias montre que les politiques de libéralisation qui conduisent à l’entrepreneuriat jouent effectivement un grand rôle dans « la consolidation de la paix entre groupes », au moins dans l’industrie du café du Rwanda. L’étude a porté en grande partie sur les nouvelles stations de lavage du café, qui ont joué un rôle crucial en permettant aux agriculteurs rwandais de vendre du café de qualité supérieure et de faire plus de bénéfices. Ces stations sont des centres d’activité pour les agriculteurs rwandais, Hutu et Tutsi confondus. Non seulement elles sont un succès pour la croissance économique, mais également pour accroître la confiance et le pardon conditionnel, deux fondements de la réconciliation et, en conséquence, du capital social.
Dans un article ultérieur, K. Boudreaux explique en outre qu’il y avait également « des corrélations significatives entre la satisfaction économique ou les perceptions générales de la satisfaction de la vie et les attitudes plus positives à l’égard de la réconciliation ». Cela suggère ici encore que les résultats d’une liberté économique accrue, c’est à dire l’entrepreneuriat et la croissance économique, ont un avantage supplémentaire en termes de croissance du capital social. Bien sûr, cette étude a une portée limitée qui ne peut sans doute pas être généralisée. Ses limites, cependant, ne font que suggérer la nécessité d’approfondir les recherches.
En faisant la promotion de la liberté économique par des droits de propriété privée et moins de réglementations inutiles, nous ne faisons pas seulement la promotion de la richesse et de prospérité. Les recherches suggèrent en effet un avantage encore plus grand de politiques de liberté économique : la croissance du capital social. Le Rwanda est à un moment crucial de la réconciliation. Pour cette raison, ceux qui souhaitent aider les Rwandais à avancer devraient implorer l’État rwandais à continuer de soutenir la liberté économique.
Savannah Tobbets a fait son stage de recherches à la Fondation Atlas. Le 7 octobre 2013.