Annie Ernaux nous livre ici une sorte de description clinique de la passion amoureuse qui l’a animée pendant ces quelques mois. Ce n’est donc pas le récit de la relation entre elle et cet homme, mais une énumération et, en même temps, une analyse de tous les symptômes étranges qui l’ont frappée, elle et elle seule. Elle suppose en effet – et cela la tourmente – que cet homme ne ressent pas pour elle ce qu’elle ressent pour lui, avant de s’apercevoir qu’elle n’a, au fond, aucun moyen de le savoir puisque l’homme qu’on aime est et demeure toujours un étranger.
Parmi tous les symptômes qu’elle décrit, il m’a semblé que le plus omniprésent était de toujours tout ramener au sujet de sa passion : elle ne s’intéresse plus aux conversations avec ses amis, sauf si le sujet de cette conversation a un rapport, même lointain, avec son amant, elle ne supporte plus d’entendre une autre voix au téléphone que celle de son amant, les sorties qui doivent la divertir et, comme on dit, lui changer les idées, lui deviennent des efforts insurmontables.
Contrainte à l’attente, elle envisage souvent de rompre mais elle s’aperçoit qu’alors il n’y aurait plus rien à attendre et cette perspective lui semble invivable. C’est donc une sorte d’addiction à l’attente qui la frappe durant ces quelques mois d’obsession amoureuse.
Elle est également envahie par des idées irrationnelles, se met à lire son horoscope, songe à consulter des voyantes, fait des vœux dès qu’une occasion se présente.
Vers la fin du livre, après que son amant est reparti dans son pays, elle observe le déclin de sa passion qui devient peu à peu moins obsessionnelle. Elle réalise qu’elle va devoir faire lire ce récit et elle est prise de honte comme si, ayant perdu tout sens critique dans la période qui précédait, elle reprenait brutalement conscience d’elle-même et, surtout, du regard des autres sur elle.
J’ai adoré ce livre où, pour une fois, l’écriture extrêmement sèche d’Annie Ernaux ne m’a pas incommodée. J’ai trouvé que Passion simple était à la fois intime, vrai, courageux. Je me suis demandé pourtant à la fin de ma lecture si un lecteur masculin se sentirait touché ou concerné par ce récit qui me semble typiquement féminin.