Sébastian Dicenaire s’impose peu à peu sur le territoire des langages comme un
touche-à-tout à tendance drôlatique dans son hybridation des genres qui fait
poésie : auteur de fictions radiophoniques, vidéaste improbable, performer
sonore, et poète de l’écrit comme l’indique le dernier corpus édité. Il va de
soi que le caractère expérimental du travail de Sébastian Dicenaire ne pouvait
l’amener à produire un écrit classique, bien au contraire, l’expérimental actif
en lui développe en ce livre son concept de « potentiologie », qu’il
applique aux textes mêmes qui nous en délivrent les idées-maîtresses qui ne
sont pas théorisées, mais, appliquées à elles-mêmes, en conséquence de quoi, et
par décision de l’auteur, elles constituent ce qu’il convient d’appeler, et qui
est traditionnellement appelé, des poèmes, aussi désignés « documents
étranges » par le poète. Le principe paraît simple : explorer les
potentialités de la langue « officielle » au cœur du langage assisté
par ordinateur, explorer les perversions de la langue quand elle devient « de-bois »
dans l’intention d’assoupir les consciences de tout un chacun. Le poète part du
constat suivant « le monde est capitaliste », c’est une tautologie
effarante, car le monde est en folie nonsensifique dans son accroissement
démentiel sur-productif et son déluge d’événements sans liens toujours
apparents, mais dont les informations qui abreuvent le commun des mortels le
sont en une langue de la technicité sociale actuelle, neutre, distante,
court-circuitée, policée, monocorde, en une langue qui, à l’insu de ceux qui en
font usage, révèle toutes les potentialités mêmes de la langue dont elle émane,
ce qu’expérimente Sébastian Dicenaire, qui, de fait, provoque des étrangetés verbales
qui font sourire par leur non-sens apparent, « Un pape a explosé au soleil comme une vulgaire pastèque qui aurait
traversé en dehors des passages cloutés », ou bien « tous les jours pendant une heure dans une
émission de téléréalité intergalactique locale, on peut suivre, dans ses
moindres détails, la vie sordide d’un couple d’ex-superhéros reconvertis en
business-shaman à domicile. » Le monde est regardé par le poète comme la rencontre fortuite sur une table de
dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ; la langue, dans
la zone langage, est découpée et recollée à l’aide d’un logiciel mental
approximatif et conçu pour capter et révéler le drôle et tragique du grand
monde, en langue crypto-dada. Les informations fusent, à la vitesse
sur-productive du monde, à vitesse de l’hyper-modernité, invisibles à l’œil nu
et inaudibles à l’oreille nue, à vitesse telle, qu’elles se mélangent, font de
ce monde un monde de non-événements ; le tout est dit non sans humour, on
l’aura compris, voire non sans autodérision (lire, « L’efficacité magique
de la performance »). Ce livre est une « danse des canards
post-apocalyptique », car l’apocalypse, selon Sébastian Dicenaire, a lieu
tous les jours, le titre l’indique bien.
[Jean-Pascal Dubost]
Sébastian Dicenaire
Dernières Nouvelles de l’Avenir
Atelier de l’Agneau, 15€