Ce matin, visite de l'expo Babylone au Louvre. J'avais naïvement imaginé que le Louvre étant gratuit et l'expo payante, il y aurait moins de monde. Pas de chance,
c'est l'inverse : il y avait forte affluence.
L'expo est intéressante et présente de superbes pièces : fragments d'écriture, statuettes, bijoux... J'ai aimé aussi les aspects fantasmatiques de Babylone, dans la mémoire occidentale, plus
racontés par les commentaires muraux que par des oeuvres malheureusement. Sauf pour la Tour de Babel, où de nombreux tableaux sont là, peu d'illustrations, par exemple de Babylone comme incarnation
du mal papiste pour les protestants par exemple.
Aucune référence non plus à Adèle Blanc-Sec, lors même que figure une petite statuette du démon Pazuzu, qu' elle eut à affronter via la secte de ses admirateurs.
Et puis, quelque chose m'est apparu, par son absence bientôt entêtante : rien sur l'Irak.
Dans les commentaires muraux qui jalonnent l'expo, c'est à peine si l'Irak est cité une fois, presque par hasard. Dans les notices accompagnant les objets, la provenance est, pour l'Irak :
"Babylonie". Pour les provenances d'Iran en revanche, c'est bien "Iran", et non "Perse". Il y a comme une volonté, peut-être inconsciente, de gommer absolument toute
référence à l'Irak, tout au long de l'exposition.
J'aurais pourtant bien vu quelques passages sur l'Irak d'aujourd'hui et Babylone, qu'en reste-t-il ? Et puis, pour une exposition organisée par trois musées européens, j'aurais bien vu aussi, tout
de même, un petit rappel sur les pillages du musée de Bagdad. Cf. ce qu'écrivait la Libre Belgique à l'époque :
"L'Irak actuel correspond à l'ancienne Mésopotamie, berceau des civilisations de Sumer, d'Akkad, de Babylone et d'Assyrie. Dans ses musées et sur plus de 10000
sites archéologiques, le pays recèle des quantités fabuleuses d'objets qui retracent les pages d'histoire écrites entre le Tigre et l'Euphrate.
Le musée archéologique de Bagdad renferme des objets qui remontent à Babylone et à Ninive, des statues sumériennes, des coupes et des casques d'argent du
cimetière d'Ur, des bas-reliefs assyriens et 5000 tablettes où sont portées les plus anciennes écritures connues. Fermé au début de la guerre du Golfe, en 1991, le musée avait rouvert ses portes
il y a six mois seulement, après avoir «survécu» aux bombardements de ces trois dernières semaines."
Chez Swissart :
"des experts américains du Moyen-Orient avaient en effet alerté depuis des mois le Pentagone sur les richesses inestimables des musées irakiens et les risques de pillage en cas de guerre,
rapporte lundi le "Washington Post".
En janvier, des universitaires, des directeurs de musées, des collectionneurs et des marchands d´art avaient eu une réunion au Pentagone pour expliquer ces risques aux responsables américains, a
indiqué McGuire Gibson, professeur à l´Institut d´études orientales de l´université de Chicago. "
Du coup, l'exposition m'a paru creuse et mensongère, et j'en suis sorti irrité. Ne reste aujourd'hui de Babylone, selon les musées européens organisateurs, que les fouilles réalisées par les
archéologues occidentaux, un film de DW Griffith "le premier à réconcilier le mythe babylonien et sa réalité" selon l'expo... et puis rien. Le dernier contact avec l'Irak actuel s'arrête à
1958, avec un superbe projet de Frank Lloyd Wright commandé par la famille royale d'Irak chassée peu après par le parti Baas. A croire que les conservateurs n'aiment que les rois...
Babylone a dû s'envoler, perdue à jamais dans les méandres de la mémoire. L'Irak d'aujourd'hui n'est qu'un vaste champ de pétrole dont il convient de se répartir la gestion. Mais de cela, pas un
mot au Louvre.
A croire qu'il est encore bien lourd le fardeau de l'homme blanc.
Le site de l'exposition