Je regardais hier 7 à 8 avec un reportage consacré au violeur multirécidiviste Sofiane Rasmouk accusé de viol avec violence et tentative d'homicide; Alors que l'une de ses victimes témoignait du viol, la journaliste parla de "douleur irréversible".
Les réactions suite à un viol sont diverses ; beaucoup de victimes se sentent salies, se sentent infiniment mal et ont des envies suicidaires. Si elles sont tout en fait en droit de dire qu'elles pensent ne jamais aller mieux - l'aide psychologique sera là pour les y aider - je ne tolère plus le discours social visant à les enfoncer encore davantage.
Comment entendre alors qu'on va très mal qu'une douleur est irréversible ?
Comment entendre dire qu'on n'ira jamais mieux ?
Quel espoir peut-avoir une victime de viol lorsqu'elle entend ce genre de discours ?
Nous oscillons dans des discours très schizophréniques à l'égard des victimes de viol.
Soit nous nions leur viol en minimisant ce qu'il s'est passé, en les accusant d'en être responsables ou de l'avoir cherché. Pire, on va parfois jusqu'à dire qu'elles aiment cela. Ainsi lorsque Madonna parle de son viol, on dit qu'elle l'a cherché vu comment elle s'habillait à l'époque, qu'elle doit bien regretter vu que cela ne risquerait plus de lui arriver maintenant, voire qu'elle ment car il est bien connu que rien ne vaut un viol pour faire parler de soi. La majorité des victimes de viol subit ce genre de discours, soit directement (de la part de proches, de la police ou de la justice) soit indirectement par les discours qu'elle peut lire et entendre. On peut le nier - vous allez le nier - se dire qu'on est tous très très très contre le viol ; il n'en demeure pas moins que si seulement 10% des victimes portent plainte c'est à cause de ce genre de discours que nous véhiculons tous et toutes.
Lorsqu'il n'est pas possible de nier le viol, dans le cas où on concède à la victime qu'elle ne l'a pas cherché, qu'elle n'a pas provoqué et que le violeur n'a aucune circonstance atténuante (comme le talent, l'amour, la tristesse, la frustration sexuelle ou autres sentiments qui semblent permettre aux hommes de pouvoir violer), on part du principe qu'elle ne va jamais s'en remettre. Et qu'il vaudrait mieux au passage qu'elle ne s'en remette pas, sinon on aurait pu croire qu'elle a aimé cela. On parle ainsi de "douleur irréversible" pour bien ancrer dans l'esprit des victimes de viol qu'il ne faut pas s'en remettre.
Les féministes oscillent toujours, face à un viol, entre deux positions qui sont souvent incompatibles ; d'un côté insister sur la gravité d'un viol et le trauma important qu'il peut avoir sur une victime et de l'autre, dire aux victimes qu'on peut se remettre d'un viol.
Je tends à penser, quitte à choquer de nombreuses féministes, que le trauma lié au viol, est sans aucun doute accentué par la valeur accordée au sexe des femmes dans une société donnée. A force de dire et de répéter aux femmes que leur virginité a une valeur (laquelle ?), qu'il faut faire attention (à quoi ?), qu'il ne faut pas faire n'importe quoi avec son sexe (pourquoi donc ?) mais qu'en revanche les hommes ont "des besoins sexuels qu'il faut bien assouvir", le système social patriarcal peut ajouter au trauma existant. Je ne suis évidemment pas en train de dire que le viol n'est pas traumatisant ; je dis que si le sexe des femme n'était pas jugé comme un trésor (trésor dont on peut s'emparer d'ailleurs), que si le discours après un viol ne visait pas à blâmer les femmes alors le viol serait peut-être vécu de façon moins traumatisante. Une grande part du traumatisme est à mon sens dû à la culpabilisation intégrée des femmes qui pensent pour beaucoup qu'elles ont cherché leur viol, ont provoqué, se sont trop débattues ou pas assez, ont trop pleuré ou pas assez bref ont forcé leur violeur à les violer.
Alors un viol une douleur irréversible ? Alors le viol pire que la mort ?
En disant cela vous contribuez à enfoncer davantage des victimes de viol. Il ne s'agit pas - et cela les psys spécialisés en traumato le montrent bien - de nier la souffrance autour du viol. Il s'agit de ne pas dire aux victimes que ce qu'elles éprouvent après le viol va rythmer désormais leur vie car si, c'était le cas, autant leur tendre un pistolet de suite.