07 octobre 2013
Félix Vallotton (1865-1925) est un artiste complet qui garde sa vie durant un style très personnel et résolument moderne. Peintre, critique d'art, romancier, graveur … son style reconnaissable au premier regard se distingue par des couleurs raffinées – des mauves, des rouges et des verts turquoise - et un dessin précis découpant la forme, une technique qu’il met également au service de la gravure dont il est un des maîtres incontesté.
L'exposition présente quelque 170 oeuvres (peintures et gravures) regroupées par thèmes et non de façon chronologique. C'est la plus grande exposition depuis celle de 1979 à Paris au cours de laquelle je m'étais prise d'une grande affection pour cet artiste frondeur et qui m'avait profondément marquée. Les commentaires sont particulièrement éclairants.
Félix Vallotton est né à Lausanne dans la petite bourgeoisie vaudoise protestante. Son père est marchand de couleurs puis fabricant de chocolat. Dès l'âge de 16 ans, il s'installe à Paris pour suivre les cours de l'Académie Julian. Déjà il répertorie soigneusement ses réalisations dans un Livre de raison. C'est un travailleur infatigable. A sa mort, Vallotton, naturalisé français dès 1900, laissera plus de 1.700 peintures, 250 gravures, des centaines d'illustrations, un nombre considérable de dessins.
A moins de trente ans, l'artiste a déjà acquis une notoriété grâce à ses gravures sur bois, en noir et blanc, à l'ironie décapante. Il rejoint en 1893 le groupe des Nabis, qui le surnomme "le Nabi étranger". Il rencontre Thadée Natanson, co-fondateur de la Revue Blanche dont il va devenir l'illustrateur attitré. Il n'apprécie pas les policiers, ni l'injustice sociale, et n'hésite pas à le montrer par ses illustrations.
Il épouse en 1899 une veuve déjà mère de trois enfants. Née Bernheim, Gabrielle est la soeur de marchands de tableaux.
Le graveur excelle dans les saynètes d'intérieur et les amours cachées, les mensonges et les violences implicites – même en montrant des femmes aux magasins du Bon Marché. Tous les genres sont traités : le portrait mondain, les scènes mythologiques, les natures mortes, les paysages, le nu féminin, les scènes d'intérieur surtout, où le rouge domine, avec d'étonnants effets de lampes.
"La loge de théâtre, le monsieur et la dame" (1909) qui illustre l'affiche de l'exposition, au jaune éclatant, illustre l'incommunicabilité entre homme et femme. Tandis que "La chaste Suzanne" semble mener par le bout du nez les deux vieillards au crâne dégarni.
Vallotton réunit parfois deux femmes qui, nues, jouent aux dames. Leurs regards se croisent rarement ... l'incommunicabilité est une des lignes de force de ces scènes étranges.
Un des thèmes de l'exposition est la guerre, non seulement celle de 14, où Vallotton est trop âgé pour être enrôlé, mais aussi la guerre des hommes contre les femmes. « Le viol » est une œuvre d'une grande cruauté, à rapprocher de la petite gravure « L'assassinat».
En 1917, il participe néanmoins à une mission sur le front comme peintre aux armées. Eglise en ruine, et surtout "Verdun". On pense aux toiles et aux gravures d'Otto Dix …
Félix Vallotton s'éteint en 1925, à la suite d'une intervention chirurgicale destinée à lui enlever une tumeur. Son style ne change pratiquement pas durant toute sa carrière. Pour moi, une promenade douce-amère dans ce Paris – mais aussi Honfleur, la Normandie, Cagnes – de la Belle Epoque : tout à fait l'atmosphère des romans de Claude Izner. Sans oublier le roman du peintre, « La vie meurtrière », dans lequel bien des éléments traités de façon cursive dans ses tableaux, affleurent …
"Félix Vallotton, le feu sous la glace", exposition au Grand Palais, avenue Winston Churchill jusqu'au 20 janvier, 13€. Réservation recommandée !