Lorsqu'on est amateur de vin, tout prétexte est bon pour se retrouver entre amis autour de quelques belles bouteilles. Ce coup-ci, c'était le retour - très provisoire - d'un ami travaillant à Honk-Kong. Cela se passait chez Julien et Bénédicte qui cette fois ont joué la carte de la "bonne franquette". Lorsque les charcuteries et les fromages sont d'un très bon niveau, cela se défend tout à fait ;o)
Au programme trois vins blancs secs, 8 vins rouges et deux vins blancs doux. Cela explique que la soirée s'est terminé autour de deux heures du matin... Il faut dire que nous avons commencé en retard à cause de Christophe Mahé qui a eu la regrettable idée de chanter ce soir-là à Bordeaux. Ca bouchonnait d'admirateurs dans les quatre coins de la ville...
Allez, on démarre par les blancs:
Vin n°1: la robe est jaune paille. Le nez laisse échapper des notes de fruits jaunes mûrs, d'épices et de foin coupé. La bouche est ample, plutôt riche, avec une matière mûre. Il manque toutefois à ce vin un centre de gravité, une tension pour qu'il puisse nous émouvoir. C'est en finale qu'il laisse paraître sa puissance et son véritable potentiel: minérale, presque tannique et de grande persistance. Ce vin est dur à situer, d'autant que Julien - que nous pardonnons volontiers - nous a donné une fausse information. Il nous l'annonce comme un viognier. Il y en a certes un peu dedans, mais il y a surtout du grenache blanc, mais aussi du sauvignon, du maccabeu, et même du pinot noir! Les amateurs pointus auront peut-être reconnu dans cette composition baroque un Nelin 2005, le vin blanc du Clos Mogador (Priorat).
Vin n°2: la robe est plus pâle. Des arômes de bourgeon de cassis, d'agrume et de fruits exotiques (ananas) vous sautent au nez. En bouche, c'est puissant, tendu, avec une matière d'une belle richesse et du gras. La finale est de bonne persistance, mais peut-être pas au niveau du reste. Si tout le monde s'accorde à dire que c'est un vin issu de Sauvignon, pour le reste, c'est plus difficile à définir. Se souvenant d'un vin de Dagueneau, Julien avance la Loire. Perdu. C'est en fait un vin du Languedoc. Un Sauvignon 2007 du Domaine de la Baume. Le surprise vient surtout du prix que j'annonce: 3€50!!! La preuve en est qu'en France, on peut faire du bon pour par très cher...
Vin n°3: la robe est d'un or intense. Le nez est très mûr, presque confit, sur des notes de cire, de coing rôti au beurre, d'épices, de vanille. On pourrait croire à un liquoreux, mais c'est bien un vin sec. En bouche, le vin est riche, complexe, avec toutefois une belle acidité qui lui apporte l'équilibre nécessaire. On peut percervoir une légère sucrosité au début de la longue finale, mais il est difficile de savoir si elle est effectivement dûe à du sucre résiduel ou à la richesse du vin (ou au long élevage en barriques neuves). Comme indice, je dis que j'ai apporté ce vin à cause d'une dégustation qu'ils ont faite depuis peu. Un vin de ce producteur ne s'était pas très bien goûté (normal, c'était un 2004, annus horribilis). Ils cherchent, ils cherchent, mais ça ne vient pas. C'est un Rémus Plus 2002 du Domaine de la Taille aux Loups. J'espère avoir apporté avec cette bouteille une autre perception du travail de ce producteur.
Sur ce, nous passons aux rouges...
Vin n°4: la robe est d'un rouge vermillon virant à l'acajou. Le nez est complexe sur le sous-bois, la truffe, le cigare, la rafle, mais aussi une pointe de cassis poivronnant m'orientant en premier lieu vers un vieux médoc. En bouche, la matière est mûre, douce, presque moelleuse. Ce n'est pas un monstre de concentration, mais c'est diablement bon. La finale est tout à fait correcte, même si on l'aimerait plus longue. J'aime beaucoup! Patrick, pour nous aider, nous signale un assemblage 1/3 merlot, 1/3 cabernet franc, 1/3 cabernet sauvignon. Du coup, nous abandonnons la rive gauche pour aller en rive droite (allez me trouver un médoc avec 1/3 de cabernet franc...). Plutôt là-haut sur le plateau, pas loin de Pomerol. Je tente Cheval Blanc, même si l'assemblage ne me paraît pas totalement correspondre. Perdu. Julien tente Figeac. Je lui dis non, pas possible. Trop sensuel en bouche. Patrick enlève le cache: Figeac 1986. Damned! Promis, je ne dirai plus de mal de Figeac ;o)
Vin n°5: la robe est assez légère, plutôt évoluée, mais pas tant que ça. Le nez est d'une finesse superlative sur la fraise, le poivre, les épices et le cigare (et toujours une pointe de "poivron"). La bouche est ronde, toute en finesse, avec des tannins de soie arachnéenne, mais ce qui surprend le plus est une acidité intense qui tient le vin de bout en bout. Impressionnant. Le nez fait bien partir dans le médoc, mais l'acidité de ce vin en fait douter... L'explication vient de l'âge du vin. En 1970, le raisin était cueilli souvent beaucoup moins mûr, d'où cette surprenante acidité. Car oui, ce vin qui a encore une jeunesse incroyable est un Mouton Rothschild 1970. Nous comprenons mieux l'indice de Benjamin qui nous disait qu'à l'époque, c'était un second (Mouton est devenu 1er cru classé en 1973, NDLR). Etonnante aussi l'étiquette de Chagall, toute pimpante. On a l'impression qu'elle vient d'être collée sur la bouteille!
Vin n°6: la robe est rouge sombre avec des reflets pourpres. On change de plusieurs décennies! Le nez est sur les fruits noirs, les épices grillés, le poivre, et une légère sensation lactique (qui disparaîtra à l'aération). La bouche est ample, riche, mûre, avec des tannins de velours ayant légèrement tendance à s'assécher en finale (mais pas trop, hein). La finale est puissante et épicée. Son origine est là aussi beaucoup discutée, et ça part dans pas mal de directions... C'est en fait un Sociando-Mallet 2003. La dernière fois que je l'avais bu (en 2006), j'avais nettement moins apprécié. J'ai bien aimé ce coup-ci!
Vin n°7: la robe est beaucoup plus claire, avec un nez sur la framboise, les épices, et une légère sensation alcooleuse. La bouche est fine mais de bonne intensité, avec des tannins s'asséchant là aussi, dans une finale épicée. Il y a à mon avis pas mal de grenache dans ce vin que je situe d'emblée en Rhône Sud. Après on a évidemment tendance à penser Châteauneuf, mais là, plantage :o( C'est en fait un Gigondas, la cuvée Homini Fides 2003 du Chateau de Saint Cosme (effectivement à très forte proportion de grenache, 90%).
Vin n°8: robe rouge très sombre. Nez sur les fruits rouges et noirs, les épices, et un peu de réduction qui disparaîtra à l'aération. La bouche est ample, fraîche, mûre, avec une structure remarquable qui fait les grands vins. Les tannins sont fondus et racés. Ce vin n'est pas vraiment prêt à se livrer, mais il a à mon avis un beau potentiel. Et c'est tout simplement ... Clos Mogador 2003 (Priorat)!
Vin n°9: robe quasi noire. Nez tout simplement hallucinant sur le ... Bounty!!! Vous savez, cette alliance de noix de coco sirupeuse et de chocolat noir. Eh bien, il y en a plein dans mon verre! La bouche est bien mûre, avec un côté crémeux et des tannins veloutés, et toujours et encore cet arôme entêtant de noix de coco. Idem dans la finale, bountissime! Je suppose ce vin espagnol, et élevé en fûts américains. Julien en doute: il a senti de la noix de coco chez Guigal, aussi. Je jette un coup d'oeil sur la contre étiquette. Je n'ai jamais fait d'espagnol, mais je crois comprendre que le vin est élevé 18 mois en barrique de "roblos américanos". C'est donc bien ce p... de chêne américain qui a apporté ses subtils arômes à ce vin (je me rappelle eu avoir les mêmes sur un Bourbon). Lorsque Julien nous annonce le nom du vin, ça ne nous dit pas grand chose: Pago de Santa Cruz 2003 de Vina Sastre. Cette production parcellaire est issue de vignes de tempranillo de 64 ans, et se veut la rivale d'Allion dans l'appellation Ribera del Douro. Pas gagné...
Vin n°10: la robe est épaisse et carrément opaque. Le nez exhale la crème de fruits noirs, la réglisse et le cigare. La bouche est d'une grande richesse, crémeuse à souhait, avec des tannins soyeux. Certains tombent sous le charme de vin gourmand. Personnellement, je trouve ça un peu "too much". Je suis persuadé que servi à 14-15°, je me serais régalé, mais là à 18-19°, c'est limite lourdingue. Bon, il va de soi que c'est une syrah australienne. Après, je ne suis pas assez pointu pour en dire beaucoup plus... La cuvée s'apelle Ares 2005. Le producteur Two Hands. Et le tout vient de la Barossa Valley.
Vin n°11 (sorti à la dernière seconde par Julien): robe sombre. Nez classieux sur les fruits noirs, le tabac, le lard fumé et les épices. La bouche est fraîche, remarquablement structurée, dégageant une classe indéniable. La finale est ferme sur des notes fumées. Nous ne sommes pas vraiment surpris d'apprendre que c'est Alion 2002. Julien, lui, à l'air un peu déçu: il s'attendait à mieux que ça... Ne t'inquiète pas, Julien, le temps fera son oeuvre ;o)
Les cannelés arrivent. Nous passons maintenant aux douceurs.
Vin n°12: robe dorée. Joli nez sur le miel et l'ananas (Jurançon me dis-je). Bouche fraîche, plutôt vive, avec juste ce qu'il faut de moelleux. C'est bon, pas écoeurant. Ceci dit, je n'arrive pas a être tout à fait emballé. Il manque quelque chose qui te tranporte, t'émerveille. L'hyptothèse de Jurançon se précise au fil des discussion. On a même le village, maintenant. Je tente Charles Hours que j'ai découvert là bas il y a une vingtaine d'années (Julien et Sylvain étaient bien jeunes, à cette époque...). Bingo. C'est un Clos Uroulat 2005 (100% petit manseng).
Vin n°13: la preuve ultime que le chiffre 13 ne porte pas malheur! Ce vin à la rove d'un or intense a un nez superbe sur la rose, l'orange confite, la reine-claude chauffée au soleil!... En bouche, c'est riche, d'une onctuosité incroyable contrebalancée par une grande fraîcheur. Une merveille d'équilibre dont je me ressers plusieurs fois tellement c'est bon! C'est un passito di Pantelleria de la Cantine Florio. Superbe!
Julien a ensuite ouvert son cabinet de merveilles d'où il a sorti ses plus beaux alcools. Particulièrement quelques ouiskis très sympa, dont un Linkwood 1990, un Caol Ila 1991 et un inégalable Laphroaig.
Ainsi se terminait cette belle soirée. Ce qui est fantastique, c'est qu'il est difficile d'en être blasé. Les vins étant à chaque fois très différents, aucun sentiment de lassitude ne vous tombe sur le paletot.