C'est plus ou moins Stephenie Meyer qui a popularisé la chose avec Twilight, vu que l'hormonale Mormone, au grand dam de tous les amateurs de Muse et de Placebo, en a fait des groupes-z-à-minettes en les dénonçant comme les inspirateurs de ses histoires de vampires clignotants, à grand renfort de 'playlists' de ses romans.
du coup ils tirent un peu la tronche
Mais docteur Clémentine, c'est quoi la bande-son d'un roman?
(t'as vu comment je m'auto-appelle docteur; oui oui)
La bande-son d'un roman, c'est à mon humble avis un mélange entre ces trois trucs:
- Des chansons que l'auteur écoute vraiment en écrivant
- Des chansons que l'auteur écoute vraiment, mais pas en écrivant
- Des chansons qui ont plus ou moins un rapport avec le roman, par exemple que des personnages écoutent dans l'histoire
- Des chansons que l'auteur aimerait bien qu'on croie qu'ilouelle écoute vraiment, en écrivant ou pas, mais qui en fait le ou la gonflent un peu, mais qui sont 'achement tendance, et qui lui ajouteront publiquement des points de branchouillitude et de coolitude, alors que si vraiment ilouelle mettait les chansons qu'ilouelle écoute en vrai de vrai, ça serait une longue succession de Jean Ferrat, Beethoven et Reggiani, ou alors des trucs des années 80 inavouables.
On se le demande avec force gratouillage de menton. Que suis-je censée faire, auteur, avec ta bande-son? L'écouter en lisant le livre? L'écouter avant? Après? En écouter des petits bouts? Parfois il y a même une chanson par chapitre. Oulà c'est du sérieux là, on rigole plus, c'est limite une prescription de lecture. Mais alors qu'est-ce que j'en fais de cette chanson par chapitre, je l'écoute en boucle pendant tout le chapitre? Elle va commencer à vraiment me lourder au bout d'un moment. Et puis si j'aime pas écouter de la musique en lisant (comme c'est le cas), je fais quoi?
Bref de bref, j'étais absolument môqueuse au sujet hilarant des bande-son, et je faisais des pff! et des pfshâ! en lisant les blogs de ceux qui avaient cédé à la mode.
Et voilàtipa que...
[T'as vu comme j'ai présenté l'histoire façon tragédie classique, la fille qui est dans la démesure et l'aveuglement, et d'un coup Hippolyte arrive et elle tombe amoureuse alors que c'est le fils de son mec/ un messager arrive et lui annonce qu'elle a tué son père au coin d'une route et couché avec sa mère pendant douze ans, etc]
Et voilàtipa donc qu'un beau jour, Tibo Bérard, charmant éditeur sarbacanien, m'envoie un email de cette teneur:
Ah oui et aussi il me faut ta bande-son pour Comme des images.Moi:
Que-oi?Lui:
Ben oui, tous les romans Exprim' ont une bande-son au début, avec les chansons qui t'ont inspiré le livre, etc.
Ahokaydak. J'avais à peine remarqué, mais elle est là, bien nichée au début de chaque roman de cette par ailleurs excellentissime collection dont je suis papeufière de faire partie l'année prochaine avec Comme des images (si t'as suivi ma vie tu sais de quoi je parle, sinon tu cliques sur les liens).
Moi:
Ah oui alors malheureusement le problème c'est que je ne connais aucune chanson. En plus d'ailleurs je ne sais pas du tout ce qu'est une 'chanson'. J'ai vaguement entendu parler de ce concept un jour mais j'ai oublié cekcé, et ma recherche Google ne donne rien du tout. Donc désolée ça va pas être possible.
Tibo:
Aboule la playlist.
Moi:
Pas ce soir, j'ai championnat du plus gros mangeur d'escargots.
Tibo:
Aboule.
Moi:
Je peux sous-traiter l'écriture de la playlist à l'un de ces richissimes nigérians qui m'écrivent toutes les heures pour m'implorer de transférer leur argent sur mon compte?
Tibo:
Non.
O douleur! O tristesse! Me voilà, telle Phèdre et Oedipe, immédiatement plongée dans les tréfonds de l'angoisse. Car j'ai été partiellement malhonnête. Ce n'est pas seulement que je trouve le concept de playlist de roman parfaitement risible, c'est aussi que j'ai un complexe d'infériorité fortement incapacitant lié à un secret inavouable.
Ce secret, c'est le suivant: j'ai un goût de chiotte en musique. Voilà. C'est dit. Ma bibliothèque iTunes est inécoutable par quiconque qui n'est pas moi. Mon pire cauchemar est qu'un inconnu s'en empare pour la fuiter sur Internet, me condamnant à l'exil à vie avec les yeux percés tel l'incestueux susmentionné.
Après cet échange, je passe donc trois ou quatre heures à ronger tous mes ongles de mains et de pieds en réfléchissant aux options possibles:
- Demander à la sister, qui est la coolitude incarnée, de me faire une playlist pour Comme des images, qu'elle a d'ailleurs lu, dévoré et adoré, étant une personne de très bon goût et parfaite en tous points.
- Faire la technique dite 'de mes étudiants en licence': envoyer à Tibo un fichier corrompu, et ensuite faire genre je ne reçois aucun de ses emails disant 'Je n'arrive pas à ouvrir le fichier'.
- Partir loin, très loin, et ne revenir jamais, à la manière de Simba dans Le Roi Lion, quitte à vivre pour toujours avec phacochère puant et un suricate hystérique.
- Aller sur ma bibliothèque iTunes et enlever le pire pour ne laisser que l'acceptable.
Réponse:
Ah oui quand même.
Moi:
Je t'avais prévenu.
Là je crois que Tibo a porté le deuil pendant huit jours. Mais tant pis, c'est fait, la bande-son la plus humiliante de l'histoire de l'humanité va bientôt être imprimée en première page de mon prochain bébé. Il est fort possible que cette bande-son à elle seule fasse s'écrouler d'un coup la réputation de modernité transgressive de la collection Exprim' que Tibo a patiemment tissée depuis son arrivée, mais il est aussi possible qu'elle me fasse entrer direct chez Nostalgie comme Reine-DJ de la nuit.
Fin de l'histoire!
Et vous pensez pas que je vais vous dire de quoi elle est composée, quand même? Je ne suis pas l'une de ces auteurs, moi, msieur-dame! Vous achèterez le livre et puis vous verrez bien.
En attendant, toi, auteur de playlists en accompagnement de tes romans, lâche tes coms pour me raconter un peu pourquoi tu me fais ça à moi, handicapée du goût musical, quelle joie tu en retires, quels espoirs se nouent dans cette liste de chansons fortement chébran, et quel est l'usage que tu espères qu'on en fasse.