J'avais préparé il y a deux mois un pigeon en trois cuissons, qui s'était révélé vraiment très bon. Celui-ci fut carrément exceptionnel. La différence?
En fait il y en deux:
la première est l'origine des pigeons. Ceux-ci ont été acheté sur le marché à un producteur alors que le premier avait été acheté en grande surface. Pour deux euros de plus par bête (8 au lieu de 6), ça vaut vraiment le coup de prendre le plus cher!
La deuxième est le temps. Les cuisses ont cuit 6 heures au lieu de 2 dans la graisse de canard (toujours à 80°). De plus, elle ont été poêlées en même temps que les filets, ce que fait que la peau était super-croustillante, et la chair fondante à souhait.
Les carcasses de pigeon ont mijoté pendant tout notre périple à Saint Emilion. A notre retour (4 heures plus tard), j'ai enlevé les carcasses et fait réduire le jus. Il était tellement bon que je n'ai pas eu besoin de lui ajouter quoi que ce soit (vin ou chocolat...). Juste un peu de beurre, et c'était génial!
Quant à la chair que j'ai détachée des carcasse, elle était tendre et parfumée. Je n'ai qu'eu à la maintenir à température (80°) recouverte d'un film en attendant le moment de servir.
Pour la cuisson des filets, je ne peux que conseiller ce que j'ai écrit la dernière fois: les faire cuire en douceur environ 7-8mn dans une poêle en commençant du côté peau. Retourner régulièrement. Les mettre alors 5mn dans du papier alu afin que le sang se répande bien dans toute la chair. Puis les re-poêler 1mn de chaque côté pour les remonter en température. Lorsque vous les couperez, vous ne verrez qu'une minuscule goutte de sang au centre du filet. La cuisson alors est parfaite!
La purée servie avec était tout ce qu'il y a de classique: pommes de terre, lait, beurre, et un tout petit peu de jus de cuisson. Elle a été posée sur la chair des carcasses dans l'esprit d'un hachis parmentier. Etant donné que je n'ai que deux mains, celle-ci était également préparée à l'avance et maintenue à 80° recouverte d'un film alimentaire.
Depuis une quinzaine de jours, l'affaire était entendue: nous allions enfin boire la petite Sibérie 2001 d'Hervé Bizeul (Clos des Fées). Nous avions acheté ce vin qui a tant fait couler d'encre lors d'un périple dans le roussillon. En 2003, dirais-je. Hervé nous l'avait alors fait goûter, et ce fut vraiment un grand moment. Du coup, Olivier avait craqué et en avait acheté une bouteille (oui, ça s'achète à l'unité: 200€ la bouteille, tout de même...). Pourquoi la petite Sibérie? Parce que ce vin est issue d'une petite parcelle de vieilles vignes de grenache noir où souffle une bonne partie de l'année un vent glacial!La bouteille a été ouverte le matin pour le soir. Olivier verse le nectar dans un verre afin de voir le "traitement" que nous allons lui faire subir: la robe est très sombre. Le nez est sur le cèdre, la cerise noire, le menthol. La bouche est d'une densité impressionnante, mais séveuse, avec une légère sensation de chaleur en fin de bouche (le vin fait 16° d'alcool). Nous décidons de ne rien faire et de la garder dans la pièce la plus fraîche de la maison.
Quelques minutes avant de servir le pigeon, nous versons le vin dans des grands verres. Le nez a pas mal évolué et fait plus "grenache": notes de cacao, pruneau, épices... En bouche, le vin a gagné en ampleur ce qu'il a un peu perdu en densité. Il y a tout de même une sacrée matière. Mais ça reste à mon goût un peu monolithique. En fin de bouche, les tannins absents le matin font leur apparition, gâchant un peu le plaisir. Au final, c'est bon, mais pas très enthousiasmant, et en tout cas loins de nos attentes. Nous décidons de nous arrêter au premier verre, et de lui donner une chance le lendemain midi.
Le dimanche midi, donc, nouvel essai: le nez est plus complexe que la veille, plus charmeur. Il y a plus d'épices, une gamme de fruits secs plus importante, un peu de café... Mais en bouche, ça reste relativement fermé, et le charme reste limité. Olivier et Thomas essaient de lui trouver plein de qualités que j'aie du mal à percevoir. J'ai bu tellement meilleur pour tellement moins cher...
Ca y est. La bouteille est vide. Gardant pour elle tout son mystère. Qu'aurions-nous dû faire? Aurait-elle été meilleure dans un an? Deux ans? Plus? Nous ne le saurons jamais; puisque nous n'en avions qu'une...