C’est une grande chanteuse, une poétesse de talent. Les photos, elle les aime simples, rapides, faites au Polaroïd, avec une esthétique pauvre, un côté abrupt, pas léché. C’est peut-être pourquoi, dans l’exposition Patti Smith à la Fondation Cartier (jusqu’au 22 Juin), ce sont d’abord les écrans qu’on regarde, ce sont eux qui structurent et découpent l’espace, certains flottent à mi-hauteur, avec l’image en transparence, et, sur l’un d’eux, la vision soudaine d’une église parisienne embrumée est belle comme une apparition. Ces films, ceux qu’elle a tournés, ceux où elles jouent, sont parfois très construits, très élaborés, comme l’hommage parisien à Walter Benjamin et aux passages, ou le pèlerinage à Charleville-Mézières sur les traces du poète perdu (Dream of Life). D’autres sont plus hétéroclites, comme l’hommage à René Daumal (Equation Daumal), et certains sont davantage des petits reportages, des moments saisis sur le vif, sans apprêt (Spirit, Summer Cannibals, ou le diptyque sur ses carnets) ou avec trop d’emphase pour être crédible (Still Moving).
Après l’immédiate présence des films, c’est l’espace qu’on perçoit, qui nous absorbe, nous conduit : les trois lampes au dessus des fauteuils, les deux buffets, la salle avec un lit de prison et un plat rempli de sable. Et ce sont eux qui nous mènent vers les photographies, rangées en ligne sur de petites étagères entre des appliques industrielles ou accrochées en grand format. Les dessins, on les voit à peine, ils ne retiennent guère l’attention.
Mais les photos, si : on ne peut s’en détacher. Non pas tant par leur style, leur facture assez médiocre, mais parce qu’elles sont toutes ou presque des révélateurs d’intimité, par tout ce qu’elles nous montrent de Patti Smith, tout ce qu’elles nous disent de sa vie.
Et la plupart sont des traces du passé, des indices de mort, de disparition, d’êtres chers ou de figures respectées. Partout des reliques : celles de Rimbaud en nombre, bien sûr, mais aussi la gueule de Cendrars, la machine à écrire de Hermann Hesse, la tombe de Yeats, un (vrai) caillou de la rivière (ci-contre) où Virginia Woolf se suicida; et d’innombrables photos de cimetières. Partout des signes de ce qui a été, des photos qui ramènent ce passé, ces morts, ces souvenirs ici et maintenant, sous nos yeux.Cette exposition est funèbre, et la dernière salle, titrée La mer de Corail, m’a ramené aux veillées mortuaires de mon enfance campagnarde. Des voiles noirs délimitent un espace semi-clos. En lieu et place de la bière, un trampoline blanc sur lequel sont projetées des images de mer, de vagues. Au mur, là où aurait été le crucifix, un écran avec toujours le ressac de l’eau. Une chanson de Patti Smith en fond sonore. Dans le reste de la salle, des reliques, photos d’instruments de musique, couronne d’épines, et mules du pape. C’est la salle qu’elle dédie à Robert Mapplethorpe.
Au risque d’offenser les fans inconditionnels de la chanteuse, j’en suis ressorti avec un certain malaise, partagé entre voyeurisme et morbidité. L’intensité du pathos mis en scène ici fait qu’on a du mal à s’intéresser à la qualité intrinsèque des oeuvres, tout est axé sur la construction du mythe de l’artiste. On en sort connaissant mieux Patti Smith, pas nécessairement gardant en mémoire des oeuvres marquantes.
Photos © Patti Smith: Mon cheval, Namibie 2005 & La rivière Ouse, où Virgina Woolf s’est donnée la mort le 28 mars 1941.