Curieux titre. Les Académiciens seraient-ils trop policés pour avoir l’insolence naturelle, d’où l’idée de s’en faire un devoir ? Qu’on se rassure : l’insolence de M.Rouart reste très bon genre. Amateurs de brûlots s’abstenir. Mais si l’on a le goût de la formule qui fait mouche sans trop faire mal, de l’indépendance d’esprit sans la provocation et de l’écriture soignée sans le tape-à-l’oeil, Devoir d’insolence peut occuper deux de nos heures agréablement, aussi loin de la complaisance que de la hargne.
Sous la forme d’un journal en trois temps -« Les débuts (septembre-novembre) », « Le turbo-président (décembre-janvier) » et « Le désamour (février-mars)», l’auteur expose et analyse à petites touches sa déception devant les premiers mois de Sarkozy président.. Une déception parfois très vive, et qui ne l’envoie pas dire, mais globalement circonscrite dans le champ de l’affection : « Que je l’admire ou qu’il m’énerve, je ne peux me départir d’un mouvement de sympathie, celui qu’on a envers un personnage d’envergure dont l’envie de bien faire est incontestable, même si la manière est discutable ».
Un tel choix de la nuance peut sembler fade à nos palais blasés. Pourtant l’auteur relève le plat de nombreux traits piquants pour des esquisses cocasses. Celle du Président bien sûr, présenté d’emblée comme une sorte de « Giscard survitaminé » qui « donne l’impression de franchir le pont d’Arcole tous les matins au petit déjeuner ». Quel contraste avec son Premier Ministre ! « Fillon, c’est d’abord des sourcils », « un passionné froid », « un politique à l’ancienne mode qui considère qu’il n’est pas là pour rigoler » . Le charme épique de Villepin opère encore, semblable à « un de ces anges guerriers armés d’une épée de feu qui interdit l’entrée du paradis terrestre ».
L’opposition n’est pas oubliée. Lionel Jospin, que « son passé fascine comme un cimetière d’illusions », suscite une compassion vinaigrée : « Quel avenir pour Jospin en dehors de l’ulcère à l’estomac ? ». On croise une Ségolène avantageuse, « avec son physique de gracile échassier, son profil aigu, son air indomptable », hélas ! encore empêtrée chez Drucker dans le ressentiment. Et voici Besancenot, ce « bébé cadum de la révolution », ce « Che Guevara sans les poils » ; Le Pen, « vieux lion dégriffé » ; Bayrou, chez qui l’on nous invite à reconnaître « le syndrome éternel des démocrates chrétiens : se prendre pour le Christ aux outrages ». Rouart n’est pas tendre pour les transfuges du Parti socialiste. Fadela Amara est une « créature vociférante », « une Madame Sans-gêne de banlieue » ; Attali, « une vieille potiche chinoise du mitterrandisme » à qui le Président a eu bien tort de faire appel : « Les abeilles meurent, s’afflige l’auteur en page 233, pourtant Attali ne les avait pas dans son collimateur ». Et Kouchner ? A l’invention du « droit d’ingérence » ajoutera-t-il celle du « droit d’incohérence » ? Ce médecin sans frontières occasionnellement belliciste donne «l’impression qu’il a une bombe de napalm dans une main et une bouteille de mercurochrome dans l’autre ».
Insolence donc, surtout celle de n’être pas esclave de son vote et de son « clan », de juger allègrement des faits et des êtres. Selon Jean-Marie Rouart -mais il est romancier- les raisons de la brusque défaveur qui frappe Sarkozy sont à chercher moins dans la conduite des réformes que dans le dépit amoureux. Les Français n’ont pas supporté qu’après avoir annoncé sa présidence comme un sacerdoce, cet homme trompé, quitté, remarié au galop, ose sans masque avoir d’autres passions qu’eux, d’autres tristesses que leur peine, d’autres plaisirs que leur allègement : « Victimes de la rigueur des temps, ils veulent un président missionnaire de la réforme. (…) C’est ainsi, nous sommes un peuple égoïste et jaloux : un président et une présidente doivent abdiquer leur bonheur, leur passion privée, au bénéfice exclusif de ceux qui les ont portés au pouvoir ». me naïf. L’insolence est un art délicat, instable. N’est pas Jean d’Ormesson qui veut, cet « Enchanteur aux yeux bleus » auquel Jean-Marie Rouart rend un hommage filial : « Quel prodige d’être à la fois léger et profond, drôle et grave, d’aller au fond des choses sans s’appesantir sur rien. »Eh oui,avant d’être un devoir, l’insolence est une grâce.
Arion