Discours du président de la République pour les 55 ans
de la Constitution de la Vème République
Conseil constitutionnel, jeudi 3 octobre 2013
Madame, Messieurs les Premiers ministres,
Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le Président,
Vous avez pris une initiative exceptionnelle, audacieuse, et en même temps parfaitement symbolique de l’esprit qui est le vôtre. En réunissant les ministres et anciens ministres qui ont servi sous la Vème République, vous avez voulu démontrer une seule chose ; qu’au-delà de la diversité des personnalités, nos institutions ont permis aux principales formations politiques républicaines de servir, chacune à son tour, notre pays.
La Constitution de 1958 n’était pas forcément promise à cette longévité.
Elle était la 15ème depuis la Révolution. Elle a eu de bons auteurs, vous les connaissez, mais elle était née d’une circonstance -l’effondrement d’un régime, celui des assemblées dans la crise algérienne- et d’une volonté, celle du général de Gaulle. Et pourtant, 55 ans après, elle est toujours là.
La constance l’a emporté sur les circonstances et le texte a duré au-delà du contexte. Et elle a été servie par ceux-là même qui l’avaient le plus contestée.
La Constitution de 1958 n’était pas une rupture aussi forte que certains le proclamaient ou que d’autres le craignaient. Certes, elle changeait les institutions, en donnant au chef de l’Etat une prééminence dans l’exécutif et en limitant les droits du Parlement ; mais elle s’inscrivait en continuité avec les principes des Républiques qui l’avaient précédée.
Elle se référait explicitement, et Monsieur le Président vous l’avez rappelé, à la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946. Or ces deux textes ont pris rang, en 1971, par une décision majeure du Conseil constitutionnel, dans ce qu’on appelle, le « bloc de constitutionnalité ». Ce fut d’ailleurs une révision qui n’a jamais dit son nom et qui a indirectement fait de la loi fondamentale un véritable levier pour les libertés.
Car les principes qui sont posés s’imposent à tous. Et loin d’être intangibles, ils sont vivants et ils permettent de répondre aux questions les plus sensibles, les plus actuelles et parfois les plus brûlantes.
C’est d’abord la souveraineté du peuple, dont les élus procèdent et devant lequel l’autorité politique doit rendre des comptes. Ce qui pourrait justifier la réforme des immunités et des juridictions d’exception.
C’est le principe d’égalité, c’est-à-dire le refus de toute distinction fondée sur l’origine, la fortune, ou la naissance. Et qui appelle aujourd’hui des politiques qui vont au-delà de la seule redistribution. C’est l’égalité, entre les femmes et les hommes, à laquelle la parité a donné une nouvelle traduction pour tous les scrutins.
C’est la laïcité, qui assure le libre exercice des cultes, mais exige la neutralité de l’Etat entendu au sens où elle doit s’appliquer strictement à l’ensemble des services publics, dans le cadre du respect des règles communes.
C’est l’indivisibilité de la République, dans la diversité des territoires qu’autorisent les lois de décentralisation.
C’est le droit du travail, à travers la loi, mais aussi la reconnaissance du dialogue social.
C’est le droit à la sûreté, qui reste la condition d’exercice de toutes les libertés.
C’est le droit d’asile, reconnu à tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté, et qui doit trouver une réponse rapide pour avoir tout son sens.
D’autres principes se sont ajoutés à mesure que l’évolution de la société française les rendait indispensables. Je pense au principe de « dignité de la personne humaine » contre toute forme d'asservissement et de dégradation. Votre Conseil a rappelé, à l’occasion de l’examen des lois bioéthiques en 1994, que c’était un objectif à valeur constitutionnelle. Je pense aussi à la protection de l’environnement qui est venue là aussi après une reconnaissance constitutionnelle et qui oblige les pouvoirs publics à en tenir compte dans toutes leurs décisions. Je pense au droit à un logement décent aussi qui fait figure d’obligation. Je pense enfin au respect de la vie privée, principe énoncé en 1995, et qui sera amené à se déployer avec le développement du numérique et la nécessaire, indispensable même, protection des données personnelles.
La Constitution est le socle des valeurs fondamentales –celles d’hier, celles d’aujourd’hui et celles de demain.
C’est ce que le Conseil constitutionnel a défini en exprimant « l’identité constitutionnelle de la France ».
Le Conseil en est le gardien. Ce fut l’une des novations de la Constitution de 1958. Je rappelle que ni la IIIème, ni même la IVème République ne disposait d’un juge doté des compétences nécessaires pour faire respecter les droits énoncés par la loi fondamentale. Le Conseil, disons les choses franchement, avait été conçu pour limiter les droits des assemblées, il y est d’ailleurs parvenu mais il est devenu bien plus que cela. Il est aujourd’hui, la plus haute juridiction chargée de protéger les libertés.
Cette évolution ne s’est pas faite contre le Parlement, elle a été voulue, je ne dis pas consentie, mais acceptée par lui. C’est le Parlement qui a ouvert progressivement la saisine du Conseil constitutionnel, d’abord à lui-même puis ensuite à tous les citoyens.
Cet élargissement du contrôle de constitutionnalité supposait que l’institution ait une sagesse, une grande sagesse, celle de ne pas se substituer au législateur et de ne pas confondre le respect d’un droit dont elle est garante et les options politiques décidées par les élus de la Nation comme le suffrage universel qui leur a donné mandat. Cette sagesse, vous l’avez démontrée.
Mais la Constitution de 1958, c’était et c’est d’abord une organisation des pouvoirs publics. Convenons que celle de 1958 aura fait la preuve de sa solidité mais aussi de sa plasticité.
Je ne commettrai pas à l’égard de la IVème République l’injustice pour ne pas dire l’ingratitude si répandue qui consiste à en oublier les acquis -il y en eut : c’est à cette République que l’on doit d’avoir permis la reconstruction de la France; mais elle avait un vice, sans doute originel, même si celui des personnes s’y est ajouté, ce vice, c’est qu’elle n’assurait pas la stabilité et donc la durée.
La Vème République, elle, est née d’une ambigüité, ce qui parfois est une force. Certains de ses auteurs pensaient qu’un régime parlementaire rationalisé avait été ainsi institué. D’autres avaient l’espoir que c’était une République clairement présidentielle qui avait été installée. La décision d’élire le Chef de l’Etat au suffrage universel en 1962 allait dans ce sens.
Et pourtant, la pratique a forgé, vous avez cité l’expression du regretté Guy Carcassonne, « un régime parlementaire à direction présidentielle ».
C’est ce qui a permis à ces institutions de s’adapter. Car, elles ont bien résisté aux chocs. Elles ont traversé d’abord la décolonisation. Affronté des guerres, il y en a eu. Surmonté des crises politiques. Ces institutions ont aussi relevé bien des défis, accompagné la construction européenne, assuré dans la sérénité les alternances, vécu des cohabitations inédites, soit par leur répétition, soit par leur durée.
La Constitution a également été capable d’évoluer. J’ai bien entendu vos réserves mais vous n’aviez pas été, sans doute, suffisamment convaincants à l’époque, puisque la Constitution a été révisée 24 fois depuis 1958, et si je puis m’exprimer ainsi, ce fut une œuvre partagée ou une responsabilité partagée et donc nous n’avons pas à nous plaindre : par exemple l’ouverture de la saisine du Conseil constitutionnel en 1974 fut adoptée à l’initiative du Président Giscard d’Estaing ; le quinquennat fut le fruit d’un accord entre Jacques Chirac et Lionel Jospin en 2000 ; la Question Prioritaire de Constitutionnalité fut proposée par François Mitterrand en 1989 et il a fallu attendre 20 ans, pour que cette introduction de la QPC puisse être rendue possible durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Cette modernisation de nos institutions n’est pas achevée. J’estime même nécessaire de la poursuivre sans forcément qu’il soit toujours compréhensible de modifier la Constitution mais nous avons à mieux garantir l’indépendance de la justice, à faire en sorte que tous les Français se reconnaissent davantage dans la République. Perfectionner les institutions relève de la responsabilité du Parlement, de la majorité comme de l’opposition, je devrais dire ici, des majorités comme des oppositions, de l’Assemblée nationale comme du Sénat, il y faut une majorité, les trois cinquièmes, pour changer notre pouvoir fondamental, et il faut aussi des majorités pour adopter des lois organiques. Sauf à recourir au référendum si la question justifie, de la part du Chef de l’Etat, d’en appeler à l’arbitrage du peuple français.
Mesdames et Messieurs, je n’ai jamais été favorable à une VIème République -ce fut longtemps un débat y compris lorsque j’exerçais d’autres fonctions- et je ne le dis pas parce que je suis devenu président de la République. Car je n’ai jamais pensé qu’il serait possible d’en terminer avec l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel. Les Français y sont légitimement attachés.
J’ajoute, car cela a pu faire débat ces dernières semaines, que les prérogatives du Président de la République ne sont pas des privilèges, ce ne sont en définitive que des moyens d’assurer la défense de la France, de nos valeurs, de nos idéaux, et de permettre l’influence de notre politique extérieure dans le monde. Le quinquennat a changé bien davantage que le rythme de notre vie politique même si, c’est incontestable, aussitôt l’élection passée certains pensent déjà à l’élection suivante : je parle de ceux qui n’ont pas été nécessairement élus. Le quinquennat a changé le rythme sans doute, mais il a modifié notre interprétation et notre pratique de la Constitution. Il implique davantage le Chef de l’Etat dans l’action de l’exécutif et dans le rapport avec la majorité, au risque de la confusion. C’est pourquoi des règles nouvelles doivent être introduites pour permettre un renforcement des contre-pouvoirs.
Chacun doit prendre conscience de la période que nous traversons.
Un doute, et il n’est pas nouveau, s’est installé sur la capacité de nos institutions à bien représenter la société française dans toute sa diversité, mais il y a également une aspiration à changer les pratiques et à accélérer la prise des décisions.
C’est le sens des réformes que j’ai proposées et qui ne sont d’ailleurs pas de nature constitutionnelle.
D’abord, la limitation du cumul des mandats. Elle permettra aux élus concernés de se consacrer pleinement à leurs fonctions. Elle contribuera aussi à renforcer les droits du Parlement, ce qui supposera l’extension de ses pouvoirs budgétaires, l’élargissement de son contrôle sur les nominations et le renforcement de ses liens avec les organismes d’évaluation ou de prospective.
Deuxième illustration : la modernisation de la vie politique, c’est-à-dire ce qu’on appelle, c’est toujours risqué, l’exemplarité. La démocratie repose sur la confiance, donc sur la transparence afin d’éviter des conflits d’intérêts et là encore, les confusions dans les activités. La France n’est pas forcément en retard, mais elle n’est pas non plus en avance. J’estime que le rétablissement du lien civique est à ce prix, même s’il est exigeant.
Je crois également nécessaire de mieux associer les citoyens à la vie publique. La révision constitutionnelle de 2008 avait prévu le référendum d’initiative populaire. La loi organique permettant l’application de cette mesure n’a toujours pas été adoptée par le Parlement : j’ai demandé qu’elle le soit avant la fin de l’année.
La démocratie, c’est également la lisibilité de l’action publique par les citoyens.
La Vème République avait pour fondement la limitation du domaine de la loi et c’était une bonne innovation à l’époque. Elle n’a pas su empêcher la prolifération des textes. On a limité les domaines mais on a multiplié les initiatives gouvernementales ou parlementaires. Chaque année, une cinquantaine de lois sont votées, auxquelles s’ajoutent plus de 1500 décrets réglementaires. Le choc de simplification, c’est d’abord un choc qui doit aboutir à la retenue. J’ai donc posé une règle : toute création d’une norme nouvelle devra désormais être accompagnée de la suppression d’une autre, ce qui n’est pas tout à fait nouveau comme annonce, ce qui suppose d’avoir un certain principe d’effectivité.
Enfin, la démocratie s’enrichit du respect des « corps intermédiaires ». L’une des assemblées prévues par notre Constitution pour les représenter, c’est le Conseil économique, social et environnemental. Je salue son Président. C’est la France du travail, de la jeunesse, des associations, qui se retrouvent dans cette « assemblée du temps long ». C’est l’un des lieux où s’élaborent, souvent discrètement, le débat public. Je souhaite que le Conseil soit davantage consulté avant les principaux projets de loi, qu’il prenne lui-même des initiatives, qu’il soit associé à l’élaboration de la stratégie à 10 ans de la France.
Monsieur le Président, la Constitution n’est jamais finie. Elle est, pour reprendre une expression de Georges Clemenceau, « une création continue », je ne suis pas sûr qu’il pensait à cette époque à la constitution mais à la démocratie, et toutes les composantes de la société doivent y contribuer.
Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement ou des gouvernements de la Vème République, vous êtes ici rassemblés.
Je reconnais vos visages. Vous vous êtes parfois combattus avec énergie. Vous êtes en cet instant, côte à côte pour célébrer, à l’initiative du président Debré, l’anniversaire de la Constitution de notre pays. Vous avez encore des points de vue différents, y compris sur le texte fondamental. En cette circonstance, vous n’oubliez rien de ce qui fait votre identité politique et en même temps vous affirmez que ce qui vous réunit tous, ce qui nous rassemble tous, c’est le service du peuple français, l’attachement à l’intérêt général, l’esprit public et pour vous, la fierté d’avoir fait l’histoire de notre pays.
Et encore aujourd’hui, la France a besoin de se rassembler sur l’essentiel. Elle se divise sur suffisamment de sujets pour revenir à l’essentiel.
Et l’essentiel en ces moments, ce sont nos valeurs, ce sont nos principes, ce sont nos institutions.
En un mot, c’est la République.
Merci.