La Ministre de l'égalité des territoires et du Logement et la Ministre de la Justice viennent de publier un décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l'urbanisme. Une remise en cause inutile de l'équilibre entre le principe de sécurité juridique et le droit d'accès au juge, qui ne devrait profiter à personne.
Décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l'urbanisme peut être consulté ici ou ci-dessous. Je vous propose également la lecture de cette note sur le rapport du Professeur Labetoulle et cette autre note sur l'ordonnance du 18 juillet 2013.
Ce décret a pour objet de réduire la durée des contentieux en matière d'urbanisme, d'une part en donnant au Juge administratif une nouvelle attribution pour accélérer le contradictoire des parties avant jugement, d'autre part, en supprimant l'appel pour un certain nombre de recours.
Or, ce décret risque fort de ne pas produire l'effet escompté : une réforme en trompe l'oeil en quelque sorte.
La cristallisation des moyens
L'article 1er de ce décret insère un nouvel article R.600-4 au sein du code de l'urbanisme, ainsi rédigé:
« Art. R.* 600-4. ― Saisi d'une demande motivée en ce sens, le juge devant lequel a été formé un recours contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager peut fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués. »
Aux termes de cet article, le Juge administratif, sur demande motivée, peut décider que, passée une certaine date, les parties ne peuvent plus invoquer de nouveaux moyens (catégorie d'arguments juridiques).
En premier lieu, on ne peut que regretter que la procédure devant les juridictions administratives soit ainsi découpée en tranches et que soient ainsi créés des régimes particuliers. A ce rythme il n'y aura bientôt plus une mais des procédures devant le Juge administratif.
Rien ne justifie que cette nouvelle attribution du Juge administratif - la cristallisation des moyens - soit ainsi réservée au seul contentieux de l'urbanisme. C'est la cohérence d'ensemble du contentieux administratif qui est ainsi menacée.
En deuxième lieu, il est peu probable que cette nouvelle atteigne son objectif, soit réduire le délai d'instruction des recours.
- d'une part, il faut que le Juge soit saisi d'une "demande motivée". Il y aura donc une demande, l'instruction de cette demande, un débat entre les parties sur cette demande, une décision du Juge, un commentaire de la décision du Juge. Le gain de temps espéré risque fort de se traduire en perte de temps effective.
- d'autre part, à supposer que le Juge administratif accède à cette demande, il y aura sans doute des débats entre les parties entre ce qui constitue ou non un moyen nouveau. les recours ne qualifiant pas toujours les moyens, les juges ne qualifiant pas toujours ces moyens de la même manière que les parties, il y aura immanquablement polémique sur le point de savoir si une partie avait ou non soutenu un nouveau moyen avant la date de cristallisation. Il appartiendra donc au Juge de trancher : re-polémique, au moins en appel. Pendant tout ce temps, on parlera de la forme, pas du fond.
En troisième lieu, cette mesure - ainsi définie - est inutile. Une partie qui le souhaite peut tout à fait adresser une demande de fixation à l'audience au Juge et ce dernier peut ordonner la clôture de l'instruction. Mesure bien plus radicale que la cristallisation des moyens. Dans les faits, les procédures d'instruction des recours devant les tribunaux administratifs sont en réalité de plus en plus courtes.
La clôture de l'instruction y compris "à tout moment" est le moyen le plus simple et le plus efficace pour mettre un terme à la stratégie de "la cartouche dans le barillet " de certains requérants consistant à égrener leurs moyens tout au long de l'instruction pour en allonger la durée.
En quatrième lieu, notons également que cette réforme accroît la responsabilité professionnelle des avocats. Nul doute que si un avocat "oublie" de soutenir un moyen ou estime par erreur qu'il n'était pas nécessaire d'en soutenir un : son client pourra le lui reprocher.
Conséquence concrète ? Les avocats sont ici appelés à soutenir tous les moyens possibles et imaginables dés le début de la procédure pour en être certains de n'en oublier aucun.Résultant : la longueur des mémoires va s'allonger et le travail du Juge pour tout décortiquer va s'accroître. La promesse d'un gain de temps s'éloigne encore.
La suppression de l'appel
La mesure du décret qui sera sans doute la plus commentée tient sans doute à la suppression de la possibilité d'interjeter appel de certains jugements rendus en matière d'urbanisme par les tribunaux administratifs.
L'article 2 du décret procède à la suppression de l'article R.411-7 du code de justice administrative et insère deux nouveaux articles.
« Art. R. 778-9. ― Le jugement des litiges relatifs aux documents d'urbanisme et aux autorisations d'urbanisme est régi par les dispositions du livre sixième du code de l'urbanisme et par celles du présent code. » ;
3° Après l'article R. 811-1, il est inséré un article R. 811-1-1 ainsi rédigé :
« Art. R. 811-1-1. ― Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application.
« Les dispositions du présent article s'appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018. »
Aux termes du nouvel article R.811-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif sera compétent en premier et dernier ressort pour juger d'un recours contre un permis de construire ou de démolir certains bâtiments (à usage d'habitation) dans certains villes (celles de plus 50 000 habitants où s'applique la taxe annuelle sur les logements vacants.
En premier lieu, le décret est ainsi rédigé qu'il sera difficile à interpréter. Naîtront immanquablement des controverses sur le point de savoir si oui ou non tel bâtiment est à usage principal d'habitation ou s'il est réellement situé en tout ou partie sur le territoire d'une commune citée à l'article 232 du code général des impôts.
En deuxième lieu, il est étranger de découper le territoire français en deux parties, en fonction du lieu d'application de la taxe annuelle sur les logements vacants.
- d'une part, le contentieux administratif n'a pas pour objet d'encourager ou de décourager la construction de nouveaux logements. Il a principalement pour objet de contrôler la légalité de tel ou tel acte administratif.
- d'autre part, à supposer que la procédure administrative soit appelée à contribuer à la construction de nouveaux logements : pourquoi uniquement dans les villes de plus de 50 000 habitants ?
En troisième lieu, les bénéficiaires des permis de construire ne tireront aucun bénéfice de cette réforme.
En première instance, le tribunal administratif peut rejeter le recours mais aussi annuler le permis de construire attaqué. Or, dans ce cas, le bénéficiaire du permis annulé ne peut plus interjeter appel. Il ne pourra que saisir le Conseil d'Etat d'un pourvoi en cassation. Mais le pourvoi n'est pas une voie d'appel et le juge de cassation borne principalement son contrôle à l'erreur de droit ou à la dénaturation des faits. En termes plus clairs : il ne rejuge pas tout le dossier.
Il est étonnant d'oublier que l'appel ne bénéficie pas qu'à l'auteur du recours...
En toute hypothèse, il existe aussi des permis de construire illégaux et il est normal, eu égard à la complexité sans cesse grandissante du droit de l'urbanisme, de permettre au Juge d'appel de se prononcer.
Cette limitation assez compliquée du droit d'accès au juge risque fort de ne pas produire l'effet escompté mais de compliquer sans grand bénéfice la procédure devant les juridictions administratives.
Il aurait été bien préférable de prendre le mal à la racine : limiter le nombre d'autorisations administratives à obtenir, réduire les délais d'instruction des dossiers de demande d'autorisation, renforcer les moyens humains et matériels des juridictions etc... autant de mesures plus utiles et urgentes.
Enfin, je prends le pari que ce décret sera l'objet d'un recours en annulation. Que se passera-t-il si ce texte est annulé dans quelques années. Les appels devenus impossibles deviendront-ils possibles des années après que les jugements en cause aient été rendus ?
Arnaud Gossement
Selarl Gossement Avocats
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JORF n°0229 du 2 octobre 2013 page 16355texte n° 11
DECRET
Décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l'urbanisme
NOR: ETLX1317290D
Publics concernés : tout public.
Objet : contentieux de l'urbanisme.
Entrée en vigueur : la compétence donnée aux tribunaux administratifs pour connaître en premier et dernier ressort des recours contre les permis de construire, de démolir ou d'aménager s'applique aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018. De plus, la faculté offerte au juge d'aménager le délai de dépôt de moyens nouveaux à l'occasion de recours contre de tels permis prend effet le premier jour du deuxième mois suivant la publication du décret au Journal officiel.
Notice : afin de réduire le délai de traitement des recours qui peuvent retarder la réalisation d'opérations de construction de logements, le décret modifie certaines des règles applicables au contentieux de l'urbanisme. Il donne compétence aux tribunaux administratifs pour connaître en premier et dernier ressort, pendant une période de cinq ans, des contentieux portant sur les autorisations de construire des logements ou sur les permis d'aménager des lotissements, et ce dans les communes marquées par un déséquilibre entre l'offre et la demande de logements. Il permet également au juge de fixer une date limite au-delà de laquelle de nouveaux moyens ne pourront plus être soulevés par le requérant.
Références : le code de l'urbanisme et le code de justice administrative modifiés par le présent décret peuvent être consultés, dans leur rédaction issue de cette modification, sur le site Légifrance (http://www.legifrance.gouv.fr).
Le Premier ministre,
Sur le rapport de la garde des sceaux, ministre de la justice, et de la ministre de l'égalité des territoires et du logement,
Vu le code de justice administrative ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu l'avis du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel en date du 17 septembre 2013 ;
Le Conseil d'Etat (commission spéciale) entendu,
Décrète :
Après l'article R.* 600-3 du code de l'urbanisme, il est inséré un article R.* 600-4 ainsi rédigé :
« Art. R.* 600-4. ― Saisi d'une demande motivée en ce sens, le juge devant lequel a été formé un recours contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager peut fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués. »
Le code de justice administrative est ainsi modifié :
1° L'article R. 411-7 est abrogé ;
2° Le chapitre VIII du titre VII du livre VII est ainsi modifié :
a) Son intitulé est remplacé par l'intitulé suivant : « Le contentieux du droit au logement et le contentieux de l'urbanisme » ;
b) Il est complété par un article R. 778-9 ainsi rédigé :
« Art. R. 778-9. ― Le jugement des litiges relatifs aux documents d'urbanisme et aux autorisations d'urbanisme est régi par les dispositions du livre sixième du code de l'urbanisme et par celles du présent code. » ;
3° Après l'article R. 811-1, il est inséré un article R. 811-1-1 ainsi rédigé :
« Art. R. 811-1-1. ― Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application.
« Les dispositions du présent article s'appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018. »
L'article 1er du présent décret entre en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal officiel de la République française.
La garde des sceaux, ministre de la justice, et la ministre de l'égalité des territoires et du logement sont chargées, chacune en ce qui la concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait le 1er octobre 2013.
Jean-Marc Ayrault
Par le Premier ministre :
La ministre de l'égalité des territoires
et du logement,
Cécile Duflot
La garde des sceaux,
ministre de la justice,
Christiane Taubira