14

Par Lorraine De Chezlo
de Jean Echenoz
Roman - 120 pages
Editions de Minuit - octobre 2012
Août 1914. L'été s'achève dans l'insouciance au coeur d'un village vendéen, mais déjà plane la menace d'une guerre mondiale et de la mobilisation des forces vives du pays. Et ça arrive enfin, les hommes sont appelés au front, notamment Anthime, Charles et leurs amis. Ce n'est l'affaire que de quelques jours, pense-t-on naïvement. Mais peu à peu, ou bien trop vite, la réalité de cette guerre ignoble va les rattraper. Ils ont laissé Blanche derrière eux, enceinte. Elle fait ce qu'elle peut grâce à ses relations pour que Charles soit muté à un meilleur poste, mais c'est la guerre qui décide de ses victimes, de ses morts et de ses estropiés...
Ecrire sur la guerre de 14, en réussissant encore à captiver, à émouvoir, à horrifier, à informer. C'est le pari réussi de 14. Cette lecture m'a rappelé Cris, de Laurent Gaudé, roman court également, à plusieurs voix, autour du même thème ; un roman magnifique qui semble bien plus méconnu.
Extrait :
"Or on ne quitte pas cette guerre comme ça. C'est la bonne blessure qu'on attend, faute de mieux, celle qui vous garantit le départ, mais le problème réside qu'elle ne dépend pas de vous. Cette bienfaisante blessure, certains ont tenté de se l'administrer eux-mêmes en se tirant une balle dans la main, mais en général ils ont échoué : on les a jugés, puis fusillés pour trahison. Mais on a aussi pu se fusiller soi-même, orteil sur la détente et canon dans la bouche, une façon de s'en aller comme une autre."
La narration est froide, comme en témoigne ci-dessus l'emploi de l'impersonnel "on". Une distance pour résister à l'ignominie de la guerre, pour rendre compte de l'anonymat endossé par chaque soldat - chair à canon. Et pourtant c'est très humain, très réaliste, très précis, très touchant donc. Efficace pour un roman si court, on croirait que tout y est. Le moral qui décline et l'alcool qu'on encourage, les difficultés physiques liés au matériel transporté, aux conditions météo, au rythme des marches, le prix exorbitant des denrées sur le marché noir qui frôle les lignes de front, les courriers censurés, la peur, les blessures dont on rêve, les obus qui tuent et défigurent, les grondements assourdissants, et les inégalités sociales qui se prolongent dans l'univers militaire.
Un beau roman historique.
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