Que je vous parle de Loupo.
On ne peut pas dire que l’on écrit uniquement par passion, le fait de s’isoler, passer ses nerfs, sa rage, avoir son « monde ».
Fabriquer ses rêves.
Bien sur, il y a de ça, mais l’on est vraiment auteur, romancier, qu’à partir du moment où l’on s’intéresse à ses personnages, et surtout, au ressenti du lecteur. Pourquoi, mais Bon sang, parce que soi-même, on s’en ait pris des claques, des images plein les yeux, des froissements de cœur et des éclats de rire, en bouffants des phrases, police Cambria ou Times New Roman, sur du format poche, d’occasion ou en Nouveauté lorsqu’il s’agissait de l’auteur tant aimé.
J’écris pour ça, aussi, c’est vrai. On peu dire que l’on reconnaît, ou que l’on ressent, des styles d’auteur ou de thème dans mes livres, tout comme l’on peut comparer Dumas à Zévaco, D’Artagnan au Capitan, l’on peut comparer Le Maudit à La Rocca de Giovanni, mes polars à des romans d’aventures des années cinquante à soixante-dix.
C’est dans cet esprit que j’ai écrit mes romans-noirs, et puis je me suis souvenu de deux, trois livres, difficiles, fort, qui m’avait beaucoup, beaucoup, marqué quand j’étais plus jeune. Il y eut la Trilogie Noire, et notamment le fabuleux Le soleil n’est pas pour nous, de Léo Mallet, ainsi que Les hauts murs d’Auguste Le Breton, suivi (aussitôt) de La loi des rues. Et puis Le bon Dieu s’en fout d’André Héléna (un compatriote de Narbonne), qui m’a trempé les pieds et fait trembler de froid et d’humidité dans cet hôtel borgne cerné d’orages noirs.
La toute première fois que j’ai lu ces livres (parmi tant d’autres, d’eux, ou de London par exemple, Le vagabond des limbes qui m’a fait pleurer), j’ai ressenti la pluie des faubourgs sur mon visage, le désespoir de ces héros contre mon âme, le froid dans mes entrailles à l’arrivée de l’aube, avec la peur que les flics ne nous ramasse au coin des trottoirs. Peut être parce que, des années après ces histoires, j’avais rencontré des personnes, des amis, qui avaient ces moments-là dans les yeux, peut-être aussi, parce que j’avais moi aussi dormi sur des cartons en faisant ma Bohème à Paris, pour ne pas dire ma Zone, et que moi aussi, j’avais parfois envie de chialer, de tuer, de frapper, ou d’aimer, des amis comme on en a jamais.
J’ai voulu faire revivre ce beau désespoir, cette sombre joie de vivre, cette jeunesse, belle et noire, et parfois aussi, rouge-sang (que j’avais découvert dans ces livres), mais avec d’autres personnages, d’autre vies, et une autre époque, en écrivant Loupo, qui se passe aujourd’hui, du moins, à notre époque.
Même si ce qui lui arrive ne peut vraiment arriver, ce qu’il ressent, d’autres l’ont ressenti, le ressentent, et ils sont nombreux, je le sais. Nous écrivons des histoires, nous romançons la Banlieue, la Zone, les faubourg de la ville, nous caricaturons les flics, les voyous, les « tontons », mais c’est pour mieux vous manger, cher lecteur, pour mieux montrer ce qu’il s’y passe, ce que peuvent penser, et surtout vivre, au plus profond d’eux même, les gosses, les jeunes, de ces quartiers.
Et puis il y a l’écriture, Loupo parle, raconte, et il fallait l’écrire, et là, aussi, j’ai voulu me faire plaisir, jouer avec les mots, en montrer la beauté, faire vivre une odeur, un sentiment, le bruit d’un moteur de moto, j’ai voulu « écrire » Loupo. A cause de cela, je pense, il ne s’agit pas d’un livre facile, du genre, « on l’aime ou on le déteste », même le style, et le schéma, narratif sont particuliers, « différents », c’est cela, différents.
Et fort, voilà, fort.
C’est tout ce que j’ai à dire, je crois, sur Loupo. J’attend le ressenti du lecteur, cela sera à lui de parler, mais d’après moi, après un livre tel que Loupo, il n’y a plus rien à dire.