Post-doc blues

Par Clementinebeauvais @blueclementine

Me voilà arrivée à un stade dans ma longue marche vers la maturité où je peux soudain m’identifier au problème existentiel analysé et narré par la plus grande théoricienne des complexités de l’âme humaine, j'ai nommé Britney Spears

‘Je ne suis plus une petite fille, pas encore une femme’
Ou plutôt, ‘Je ne suis plus doctorante, pas encore prof’. N’étant malheureusement pas pourvue des mêmes courbes, et ayant une peau fortement mélanomisante, je préfère ne pas aller me dandiner au sommet d’une montagne pour tenter de résoudre britnéiquement cette crise identitaire. Mais la question continue à se poser : que se passe-t-il donc dans ce no man’s land indéfini de mi-chemin entre A et B qu’on appelle post-doc ? 
Déjà, je vous ferai dire qu'il est parfaitement absurde de ne plus être étudiant. Ca faisait vingt-quatre ans que j'étais étudiante, après tout. Bon, ok, quelques-unes de ces années j'étais bébé, mais ma mère, n'étant pas particulièrement fan des êtres non-parlants, a fait de son mieux pour me faire perdre cette détestable habitude le plus vite possible et m'envoyer à l'école.
Et d'un coup, tadam, tu t'y attends pas du tout, et on t'apprend que tu n'es plus étudiante. Pour moi, ça s'est passé le jour de ma soutenance de thèse. Je pensais que tout se passait bien et tout, mes examinatrices me disaient bravo, trankil quoi, et tout à coup, je cite:
A partir d'aujourd'hui, vous n'êtes plus étudiante, et vous ne serez plus jamais étudiante. Enfin, sauf si vous décidez d'étudier quelque chose d'entièrement différent plus tard dans votre vie. 

Rien ne m'avait préparée à ce choc; je n'étais pas prête. D'abord j'ai tenté de limiter ma réaction instinctive de panique en imaginant tous les trucs divers et variés que je pourrais faire quand je reprendrais mes études d'ici deux, trois jours: une licence de Klingon, un master de Point de Croix, un doctorat en Etude des Sous-Verres. Mais c'était déjà trop tard, ma directrice de thèse est venue avec des ciseaux me couper ma petite tresse de jeune padawan et ça y est, je n'étais plus étudiante, c'était la fin.
Désormais me voilà dans une situation étonnante: je ne suis plus sous les ordres de personne. Les profs ont toujours quelqu'un au-dessus d'eux pour leur dire s'ils font bien leur boulot ou pas, à grand renfort de statistiques et de coupes de budget, mais mon propre contrat de post-doc (un Junior Research Fellowship, pour être précis; un truc oxbridgesque un peu fantasque) ne précise absolument pas ce que je suis censée faire des trois prochaines années.
Bon, disons qu'il est implicite que je ne vais pas passer ces quelques mille jours à améliorer mes techniques d'esquive de peaux de banane sur Mario Kart, mais limite. Je ne suis pas obligée de publier un monographe, d'écrire un certain nombre d'article, de faire un certain nombre d'heures de cours ou d'aller à des colloques. Je fais c'que j'veux d'abord, enfin disons que je continue mes recherches, et comme j'ai eu un entretien où ils ont pu s'assurer que je ne suis pas une totale kamikaze, ils ont dans l'idée que je vais faire en sorte d'améliorer mon CV comme je le peux (et comme je le veux) ces trois prochaines années.
Pas comme ça.
Mais malgré cette outrageante et glorieuse liberté, je passerai aussi les trois prochaines années à poster des dossiers de candidatures diverses et variées pour obtenir un vrai poste permanent, un poste sans doute beaucoup moins confortable et beaucoup plus bureaucratique, qui m'entraînera dans un tourbillon de formulaires à remplir, de CV à compléter, d'éminents professeurs à soudoyer à l'aide de macarons Ladurée (je les recommande chaudement), et de virements mensuels vers mon compte-épargne. J'écrirai sans doute des articles qui m'intéressent bof mais qui risquent d'être publiés au détriment d'articles qui m'intéressent fort mais ont peu de chance de l'être.

Le moyen de pression numéro 1 pour réclamer une lettre de recommandation. 
 
Donc en gros je commence à peine ma carrière de mini chercheur castor junior et je ne sais pas trop si je devrais essayer de profiter à fond de trois années supraconfortables et d'une liberté totale, ou m'accabler de memento-mori: ce boulot n'est qu'un sas de décompression avant l'entrée dans un marché du travail universitaire surpeuplé, où les postes fondent encore plus vite que le Pôle Nord, et où la stratégie de Britney Spears de gigoter à moitié à poil en haut d'une montagne semble un moyen tout à fait raisonnable de lutter contre l'étrange désespoir de cette parenthèse enchantée.