Extraits © Pour la Science - n° 432 - Octobre 2013
Les physiciens qui étudient la matière dans ses aspects les plus fondamentaux décrivent souvent l’Univers comme étant constitué de minuscules particules, plus petites que les atomes, qui s’attirent et se repoussent par l’intermédiaire de champs de force. Mais cette vision passe sous silence un fait méconnu: en physique quantique, les notions de particule et de champ sont tellement distordues par rapport aux notions classiques que beaucoup pensent que le monde pourrait être formé de quelque chose d’entièrement différent.
Dans ces conditions, il peut paraître surprenant que les physiciens ne soient même pas sûrs du tableau fondamental et des concepts premiers que dépeint la théorie, autrement dit de son «ontologie».
D’après certains chercheurs, le monde serait plutôt fait de propriétés, telles que la couleur ou la forme. Selon de nombreux physiciens, les particules ne sont pas des objets, mais des excitations d’un champ quantique. Toutefois, cette notion soulève elle aussi des difficultés. Pour surmonter ces obstacles conceptuels, certains pensent que le monde n’est pas formé d’entités matérielles, mais de relations ou de propriétés telles que la masse, la charge et le spin.
La théorie quantique des champs associe un champ à chaque type de particule élémentaire, si bien qu’il existe un champ électronique pour l’électron, un champ pour chaque type de quark, etc. En même temps, les champs de force ont eux aussi des particules associées. Par exemple, le photon est la particule associée au champ électromagnétique. Ainsi, la distinction entre particules et champs semble artificielle, et dans le discours des physiciens, l’un ou l’autre ressort comme étant plus fondamental.
Même aujourd’hui, ces deux concepts sont encore utilisés à des fins d’illustration, bien que la plupart des physiciens admettent que les notions classiques de particule ou de champ ne correspondent pas à ce que décrit la théorie. Les deux options classiques conduisant à une impasse, certains philosophes et physiciens ont formulé des alternatives plus radicales. Ils suggèrent que les constituants les plus fondamentaux du monde matériel sont des entités intangibles telles que des relations et des propriétés. Une idée particulièrement radicale consiste à affirmer que
Tout se réduirait à des entités intangibles et à rien d’autre, sans aucune référence à des objets.. Plusieurs raisonnements montrent que les unités fondamentales de la théorie quantique des champs ne se comportent pas du tout comme des boules de billard.
Tout d’abord, le concept classique de particule sous-entend un objet qui existe en un lieu précis. Mais les «particules» de la théorie quantique des champs n’ont en général pas de position bien définie. Par exemple, une particule de votre corps n’est pas strictement localisée à l’intérieur de votre corps. Un observateur qui tenterait de mesurer sa position a une probabilité faible, mais non nulle, de la détecter dans les endroits les plus lointains de l’Univers.
Ensuite, supposons qu’une particule soit localisée dans votre cuisine. Votre ami, qui regarde votre logement en passant devant en voiture, pourrait voir cette particule étalée sur l’Univers entier. Ce qui est localisé pour vous est délocalisé aux yeux de votre ami. Non seulement la position de la particule, mais aussi le simple fait que la particule ait une position, dépendent de votre point de vue.
Troisièmement supposez que vous cherchiez à connaître le nombre de particules chez vous. Vous faites le tour de l’appartement et trouvez trois particules dans la salle à manger, cinq sous le lit, huit dans le buffet de la cuisine, et ainsi de suite. Maintenant, additionnez-les. Vous aurez la surprise de constater que la somme ne sera pas égale au nombre total de particules. Ce nombre, en théorie quantique des champs, est une propriété de l’appartement dans son ensemble;
Une autre propriété frappante du vide en théorie quantique des champs est ce qu’on nomme l’effet Unruh. Supposons qu’un astronaute se trouve dans un vaisseau immobile, dans ce qu’il pense être le vide. On montre par la théorie, qu’un astronaute à bord d’un vaisseau accéléré par rapport au premier aura une perception très différente du même milieu: ses mesures lui indiqueront qu’il est immergé dans un bain thermique d’innombrables particules. Si un vide plein de particules semble absurde, c’est parce que la notion classique de vide nous induit en erreur ce que la théorie décrit doit être autre chose. Si le nombre de particules dépend de l’observateur, alors il semble illogique de supposer que ces particules sont fondamentales.
Faisons donc le point. Nous nous représentons les particules comme de minuscules boules de billard, mais les entités que les physiciens d’aujourd’hui nomment «particules» ne leur ressemblent en rien. Selon la théorie quantique des champs, les objets ne peuvent être localisés dans aucune région finie de l’espace. Qui plus est, le nombre de particules putatives dépend de l’état de mouvement de l’observateur. Tous ces résultats, pris collectivement, sonnent le glas de l’idée d’un monde composé de particules qui seraient des sortes de petites billes.
Meinard KUHLMANN
COMMENTAIRES
Cet extrait d’article fait extrêmement bien le point sur l’état de confusion qui règne aujourd’hui dans les sciences physiques. La physique, science du réel, semble bien avoir perdu tout contact avec ce réel qu’elle ne parvient plus à définir. Après la mort de Dieu voici qu’on nous annonce celle de la particule de matière qui constitue la matérialité même de ce réel. Quels sont les arguments qui autorisent cette disparition du concept et de la représentation d’une particule comme « petite boule » ?
Il y a cette affirmation surprenante tellement elle est vraie que le réel dépend du décodage opéré par un observateur. Comment peut-il en être autrement ? A quelle réalité « en soi » indépendante et à jamais observable fait-on allusion pour regretter qu’on ne puisse la saisir et qu’ainsi disparait toute possibilité d’un réel pur et dur ? L'univers naturel est TOUJOURS le résultat d'une observation par nos sens ou nos appareils. Et est-ce que l’objet observé cesse pour autant d’exister si nous plaçons deux observateurs dans des conditions différentes ? Le fait que l’on observe une particule et l’autre pas ne veut pas pour autant dire que la particule n’existe plus.
Par ailleurs, le fait qu’on ne parvient pas à situer exactement une particule, que son mouvement soit perturbé par la mesure, ne conduit pas à induire que la « petite boule » n’existe plus.
Troisièmement la confusion sur les rapports entre champs et particule ne tient pas compte des propriétés radicalement différentes d’un champ et d’un corpuscule, de leur présence simultanée qu’il est impossible de fondre dans une même entité.
Enfin, la totale méconnaissance des propriétés du vide (nous dirons de la prématière qui en constitue la substance) laisse les physiciens pantois devant la production de rayonnements de freinage lorsqu’on corps le traverse ; d’où l’idée que ce vide n’est pas vide ce qui conforte l’idée que nos sens nous trompent et qu’il est finalement impossible de connaitre le réel « en soi ».
Comme on le constate, cette mise à mort de la notion de particule et de sa représentation « matérialisée » de petite boule est la conséquence d’un grand nombre de distorsions de raisonnement qu’il s’agirait de corriger. La question est alors de savoir si notre monde concret de la matérialité « en dur » que nous pouvons toucher et heurter ne doit pas avoir une traduction nécessaire au niveau macroscopique ou si - à en croire la physique quantique - celui s’évanoui dès que nous pénétrons dans le monde mystérieux des particules ? Notre monde « en dur » est-il composé de particules « en dur » même si nous ne pouvons précisément les localisées ?
Et si l’objet « particule » existe, alors il doit bien avoir une forme, une substance, avoir une place dans l’espace pour translater. Et si nous savons que ces particules ont un mouvement de rotation de spin, quoi de plus naturel d’en déduire que leur forme doit avoir quelque chose à voir avec une petite boule…